Saisie d’objets illicites à la douane de Port-au-Prince : Le RNDDH exige toute la lumière autour de ce dossier
Vendredi 14 octobre 2022 ((rezonodwes.com))–
Sommaire
Pages
I. INTRODUCTION 2
II. METHODOLOGIE 2
III. MISE EN CONTEXTE 2
IV. SUR LES FRANCHISES ACCORDEES PAR L’ETAT HAÏTIEN A DES INSTITUTIONS 3
V. RECONSTITUTION DES FAITS 4
a) Faits précédents 4 b) Scandale du 14 juillet 2022
5 c) Liste des objets saisis
5 d) Informations sur le Booking List et sur le Booking Ship
6 e) Identité des personnes indexées dans le scandale du 14 juillet 2022 7
VI. ENQUETE MENEE AUTOUR DU DOSSIER
9 a) Protection de certaines parmi les personnes indexées dans le dossier 10
b) Déclarations du magistrat Jacques LAFONTANT 11
VII. COMMENTAIRES ET RECOMMANDATIONS 12
I. INTRODUCTION
Le 14 juillet 2022, des armes et des munitions ainsi que d’autres objets illicites vraisemblablement couverts par la franchise accordée par l’Etat haïtien à l’Eglise Episcopale d’Haïti, ont été saisis à la douane de Port-au-Prince.
Le caractère inédit de cette saisie ainsi que l’institution indexée ont retenu l’attention de la population en général et du Réseau National de Défense des Droits Humains (RNDDH) en particulier qui depuis, a décidé de diligenter une enquête.
Aujourd’hui, trois (3) mois après cette saisie, le RNDDH estime de son devoir de partager avec l’opinion publique, les résultats de ses investigations.
II. METHODOLOGIE
4. Dans le cadre de cette enquête, le RNDDH s’est entretenu avec :
• La Direction Centrale de la Police Judiciaire (DCPJ) ;
• Le parquet près le Tribunal de première instance de Port-au-Prince ;
• Le propriétaire des containers dans lesquels se trouvaient les colis illicites ;
• Des agents douaniers affectés à la douane de Port-au-Prince.
III. MISE EN CONTEXTE
Depuis l’avènement au pouvoir de cette coalition politique dirigée par le premier ministre de facto Ariel HENRY, la situation sécuritaire du pays s’est aggravée. Les bandits continuent de semer la terreur. Ils étendent leur territoire, s’adonnent ouvertement à des actes attentatoires aux vies et aux biens, violent des femmes, des filles ainsi que des hommes, sous le regard complice des autorités étatiques. Le pays ainsi que le pouvoir sont gangstérisés. Les gangs eux-mêmes se sont mis en coalition et s’imposent de plus en plus sur l’échiquier politique.
La population de son côté n’a jamais cessé de dénoncer les liens de complicité qui existent entre les bandits armés et ceux qui dirigent le pays. Le trafic juteux des armes et des munitions est souvent revenu dans les débats d’autant plus que depuis un certain temps, l’évidence de la provenance des armes – en l’occurrence les Etats Unis, pour la grande majorité, en passant par les ports – avait déjà été établie.
Le 1er juillet 2022, le jour-même de l’installation de Julcène EDOUARD à titre de nouveau directeur général de l’Administration Générale des Douanes (AGD) en remplacement de Romel BELL, une saisie spectaculaire d’armes à feu, de fusils de longue portée ainsi que de munitions a été réalisée à la douane de Port-de-Paix, dans le département du Nord-Ouest. Pas moins de cent-vingt-mille (120.000) cartouches étaient réparties dans cent-cinquante-sept (157) caisses. Les grossières démarches effectuées par des autorités judiciaires en vue de faire éviter la prison à des personnes indexées dans ce dossier ont exacerbé la colère de la population qui exige pour les trafiquants et leurs complices, des sanctions proportionnelles aux crimes perpétrés par les bandits armés.
C’est dans ce contexte où le dossier de Port-de-Paix faisait encore des vagues – en raison de l’arrestation du magistrat Michelet VIRGILE commissaire du gouvernement près le Tribunal de première instance de Port-de-Paix d’alors et de Maître Robenson PIERRE-LOUIS, secrétaire général de la Fédération des Barreaux d’Haïti et membre influent du cabinet du ministre de la Justice et de la sécurité publique – que de nombreuses armes de long calibre, plusieurs boites de munitions, des faux billets de dollars américains ainsi que d’autres objets illicites ont été saisis.
Depuis, des fouilles et perquisitions, des arrestations ainsi que des convocations ont été réalisées ; des mandats d’amener et des interdictions de départ ont été émis, tout ceci, à grand renfort de publicité.
Au-delà de toute cette publicité, que faut-il retenir du dossier ?
IV. SUR LES FRANCHISES ACCORDEES PAR L’ETAT HAÏTIEN A DES INSTITUTIONS
Les franchises douanières sont accordées en Haïti sur la base des dispositions de la Loi portant sur le Code des investissements modifiant le décret du 30 octobre 1989 relatif au code des investissements. Cette loi est encore appelée Code des investissements. Elle a été adoptée le 9 octobre 2002 et est parue dans le Moniteur du 26 novembre 2002.
La franchise accordée offre des avantages incitatifs aux investisseurs. En effet, selon l’article 19 du Code des investissements, une attention particulière est portée aux entreprises tournées exclusivement vers l’exportation ou la réexportation. Il s’agit dans ce cas, d’entreprises évoluant dans les champs de l’agriculture, l’artisanat, l’industrie nationale, le tourisme, et les zones franches.
Toutefois, selon l’article 41 dudit code, des bénéficiaires évoluant dans des champs autres que ceux susmentionnés peuvent aussi jouir de franchises douanières et/ou fiscales. Il s’agit de personnes physiques ou morales qui présentent des qualifications requises pour jouir de ces privilèges. Ces personnes sont réputées avoir des activités d’intérêt particulier pour la collectivité en raison de leurs caractéristiques propres, de l’importance de l’investissement qu’elles requièrent, de la haute priorité attachée à leur réalisation, etc. Dans ces cas, et toujours selon l’article 41, les conventions relatives à ces franchises précisent clairement quels avantages leur sont accordés ainsi que les obligations auxquelles elles sont assujetties.
Selon l’article 45 du code, une commission interministérielle des investissements composée de hauts cadres techniques est créée. Elle compte :
• Deux (2) représentants du Ministère de l’économie et des finances
• Un (1) représentant du Ministère du commerce et de l’industrie
• Un (1) représentant du Ministère du tourisme
• Un (1) représentant du Ministère concerné, suivant le secteur et l’investissement visés
Cette commission a pour missions principales de :
• Recevoir les dossiers et statuer sur l’éligibilité des entreprises, des personnes morales ou physiques ;
• Statuer sur le retrait éventuel d’avantages accordés dans le cadre du code des investissements, en cas de non-respect des obligations légales ou administratives du bénéficiaire.
La convention de franchise mentionne généralement la quantité bien précise d’objets – souvent dénommés marchandises par les agents douaniers – qui peut être importée au cours d’une même année fiscale. Dès que la quantité est dépassée, l’entreprise ou le bénéficiaire doit payer les frais de douane normalement.
De plus, la convention de franchise n’implique en aucune manière que les containers ne soient pas vérifiés par les agents douaniers. Cependant, dans la pratique, certaines institutions, comme l’église, jouissent d’une moralité et d’une réputation telles que les agents douaniers ont pris l’habitude de laisser passer leurs containers, sans vérifier leur contenu.
V. RECONSTITUTION DES FAITS
a) Faits précédents
Depuis plusieurs années, l’Eglise Episcopale d’Haïti bénéficie d’une franchise douanière.
Des agents rencontrés à la douane de Port-au-Prince dans le cadre de cette enquête, ont affirmé que cette franchise a été utilisée à plusieurs reprises par différentes entreprises, dont des entreprises commerciales et aussi par plusieurs personnes, n’ayant rien à voir avec des activités de culte.
En raison justement de cette situation, l’Eglise Episcopale d’Haïti commençait à ne plus jouir auprès de certains agents douaniers, de la réputation qu’elle avait. Par exemple, entre février et mars 2022, trois (3) containers sont arrivés au port de Port-au-Prince avec un Bill of Lading au nom de l’Église Épiscopale d’Haïti. Rappelons que le Bill of Lading est une liste détaillée de la cargaison d’un navire qui est remise par le capitaine, à la personne qui expédie les marchandises.
Des agents douaniers avaient alors catégoriquement refusé de signer les papiers pour le dédouanement des containers susmentionnés, parce-que le quitus de l’Eglise Episcopale d’Haïti était utilisé par trop de personnes.
De plus, le RNDDH a pu s’entretenir avec au moins un (1) agent de la douane de Port-au-Prince qui, depuis plus de quatre (4) ans, avait décidé de ne plus être impliqué dans le processus de dédouanement des colis au profit de l’Eglise Episcopale d’Haïti, en raison d’un soupçon de trafic de franchise.
Ainsi, à l’arrivée, au début du mois d’avril 2022 de ces trois (3) nouveaux containers objets du scandale du 14 juillet 2022, enregistrés au nom de l’entreprise Rémy Multi Services, il s’avéra impossible de les couvrir par la franchise de l’Eglise Episcopale d’Haïti.
Voilà donc ce qui va expliquer que finalement, le propriétaire du Rémy Multi Services ait accepté de se soumettre à la vérification des containers en vue de payer les frais de douane.
b) Scandale du 14 juillet 2022
Au début du mois d’avril 2022, trois (3) containers sont arrivés à la douane de Port-au-Prince au nom de l’entreprise Rémy Multi Services, appartenant à Rémy LINDOR. Ils ont été entreposés à MEAD CPS2. Tout de suite après leur arrivée, le processus de dédouanement a été entamé.
Parallèlement, des rumeurs sur le contenu illicite de ces containers commençaient déjà à circuler. Et, en dépit de l’exhibition de la franchise douanière de l’Eglise Episcopale d’Haïti, deux (2) agents de la douane ont exigé la vérification desdits containers, en vue du paiement des frais de douane.
Après de nombreuses démarches infructueuses pour couvrir les containers par la franchise de l’institution susmentionnée, Rémy LINDOR a accepté de se soumettre à la vérification exigée. La date du 14 juillet 2022 a donc été retenue pour la réaliser.
A cette date, Samson FRANÇOIS identifié 008-852-637-4, a été dépêché sur les lieux par Rémy LINDOR. Aucune anomalie n’a été relevée dans le premier container vérifié. Cependant, dès la vérification des premiers colis du deuxième container, des armes à feu ainsi que d’autres objets illicites ont été découverts. Ils se trouvaient dans huit (8) boites. Ceci va porter les agents de la douane à faire appel à la Brigade de Lutte contre le Trafic des Stupéfiants (BLTS) et à la Brigade de Recherche et d’Intervention (BRI) qui se trouvaient déjà sur les lieux, justement en raison des rumeurs susmentionnées.
A la découverte des boites illicites, Samson FRANÇOIS a appelé un proche pour lui demander d’informer Rémy LINDOR de la situation. De plus, Samson FRANÇOIS a déclaré aux agents douaniers ainsi qu’aux policiers avoir été dépêché sur les lieux pour assister uniquement à la vérification des containers. Il ignore par conséquent tout ce qui s’y trouvait.
Les agents de la douane ont dressé deux (2) procès-verbaux de constat distincts en présence de Samson FRANÇOIS qui a assisté à toutes les vérifications ainsi qu’à la rédaction des procès-verbaux en question. Il a par la suite été arrêté et le Booking List saisi.
c) Liste des objets saisis
Les objets saisis se trouvaient dans le container BMOU 610 3158 couverts par la déclaration en douane E 174 31, consignée à l’Église Épiscopale d’Haïti ayant pour représentant Gina Rolles JEAN-LOUIS identifiée au numéro d’agrémentation GR 0712-0242. Ce containeur est entreposé au MEAD CPS2.
Dans le premier procès-verbal, les objets suivants ont été constatés :
• Dix-sept (17) fusils de calibre 556 et 762
• Un (1) fusil à pompe de calibre 12
• Quatre (4) pistolets de calibre 3 et 40 mm (1u)
• Douze mille sept cent soixante-dix-neuf (12.779) unités de munitions de calibre 7,62
• Quatre cent quarante-trois (443) unités de munitions de calibre 5,56
• Mille trois cent-onze (1.311) unités de munitions de calibre 9
• Cent-treize (113) unités de munitions de calibre 12
• Soixante-huit (68) chargeurs de calibre 7,62
• Soixante-trois (63) chargeurs de calibre 5,56
• Neuf (9) chargeurs de calibre 4,9 de marque Olight
• Un (1) viseur
• Trois (3) étuis pour pistolet
Dans le deuxième procès-verbal, les agents douaniers ont affirmé avoir découvert cinq cents (500) billets contrefaits de cent (100) dollars américains d’une série unique KP582470394 ainsi que neuf (9) cadenas pour armes à feu ont été mentionnés.
Le RNDDH n’a pu obtenir aucune information sur ce que renfermait le troisième container. Il n’a pu savoir non plus si des objets illicites y ont été découverts.
Tous les objets saisis ont été confiés à deux (2) agents respectifs de la BRI et de la BLTS, désignés gardiens par les agents douaniers.
Le lendemain, soit le 15 juillet 2022, dans un communiqué, l’Église Épiscopale d’Haïti a déclaré n’avoir passé aucune commande et n’avoir entrepris aucune démarche de dédouanement de containers à la douane de Port-au-Prince, puisqu’elle n’attendait aucun produit en provenance de l’étranger, pour aucune de ses institutions. Cependant, les rebondissements de l’affaire porteront plusieurs personnes à questionner la véracité d’une telle déclaration.
Parallèlement et tel que la Loi lui en fait l’injonction, le commissaire du gouvernement près le tribunal de première instance de Port-au-Prince, Me Jacques LAFONTANT a mis l’action publique en mouvement dans le cadre de ce dossier. Et, vu la complexité du dossier, il a décidé de donner commission rogatoire au Bureau des Affaires Économiques et Financières (BAFE) attaché à la Direction Centrale de la Police Judiciaire (DCPJ), aux fins de poursuivre l’enquête.
d) Informations sur le Booking List et sur le Booking Ship
Tel que susmentionné, le Booking List est un document fournissant les informations sur les expéditeurs et destinataires des marchandises importées dans un container donné. De plus, il convient de souligner que le Booking Ship est un document qui fournit les détails sur tous les containers d’un navire, leur taille, leur nombre, la liste des expéditeurs de colis et des destinataires ainsi que leurs coordonnées.
En chargeant un container, le propriétaire reçoit de ses clients des objets préalablement cachetés qu’ils souhaitent envoyer en Haïti. Ils déclinent leurs noms, prénoms, adresses et numéros de téléphones et fournissent aussi les informations relatives aux destinataires. Une fiche est alors conçue. Elle renseigne également sur le montant payé par l’expéditeur de la marchandise.
Dans le cadre du container à scandale, le Booking Ship comprenait quarante-trois (43) clients.
Et la fiche relative aux huit (8) boites dans lesquelles ont été trouvés les objets illicites mentionnés dans les procès-verbaux, fournit les informations suivantes :
• Expéditeur : Fernand JEAN PIERRE
• Bénéficiaire : Alerte ISAAC
• Compagnie : Rémy Multi Services
• No de la fiche : 825379
• Nombre de boites : 8
Le montant total payé par l’expéditeur pour le transport et le dédouanement des huit (8) boutes est de six-cent-quatre-vingt (680) dollars américains.
e) Identité des personnes indexées dans le scandale du 14 juillet 2022
Au moins douze (12) personnes sont indexées dans le cadre de ce dossier. Parmi elles, seulement six (6) ont été arrêtées.
Personnes arrêtées
Les six (6) personnes arrêtées sont :
• Gina Rolles JEAN-LOUIS
• Lovenie LOUIS JEAN
• Samson FRANÇOIS
• Frantz COLE
• Manion SAINT-GERMAIN
• Jean Mary JEAN GILLES
Gina Rolles JEAN-LOUIS est une commissionnaire en douane. A ce titre, elle est chargée de faire le suivi du processus de dédouanement des containers. Selon ce qui a été rapporté au RNDDH, ce n’est pas la première fois qu’elle est sollicitée pour le compte de l’Eglise Episcopale d’Haïti.
Lovenie LOUIS JEAN n’est pas broker elle-même. Elle travaille à Rebo S.A. Elle est l’épouse du brocker agréé Steeve JEAN. Au contact de son mari, elle a appris le processus de dédouanement de containers. C’est donc Lovenie LOUIS JEAN qui a engagé Gina Rolles JEAN-LOUIS comme broker pour remplir les formalités de dédouanement des trois (3) containers de Rémy LINDOR.
Samson FRANÇOIS a l’habitude d’effectuer de menus travaux pour le propriétaire des containers, Rémy LINDOR. Le 14 juillet 2022, il a été dépêché sur les lieux pour assister à la vérification des containers sur la base du Booking Ship – et de payer les frais de douane.
Frantz COLE est secrétaire exécutif diocésain de l’Eglise Episcopale d’Haïti. Il est le curé de la paroisse Notre Dame de l’Annonciation sise à la quatrième (4ème) avenue Bolosse.
Manion SAINT-GERMAIN travaille pour l’Eglise Episcopale d’Haïti à titre de messager.
Jean Mary JEAN GILLES est comptable pour le compte de l’Eglise Episcopale en Haïti.
Autres personnes indexées dans le dossier
Les six (6) autres personnes indexées dans le dossier sont :
• Rémy LINDOR
• Fernand JEAN PIERRE
• Alerte ISAAC
• Jean Mardochée VIL
• Vundla SIKHUMBUZO
• Fritz DESIRE
Rémy LINDOR réside aux Etats-Unis est le propriétaire de l’entreprise Rémy Multi Services ainsi que des containers qui transportaient les armes à feu, munitions et autres objets illicites.
Fernand JEAN PIERRE, réside aux États-Unis. Il est l’expéditeur des huit (8) boites contenant les armes, munitions et autres objets illicites qui ont été saisis le 14 juillet 2022.
Alerte ISAAC, est le destinataire des huit (8) boites susmentionnées. Il est donc la personne en Haïti chargée de recevoir les colis en question.
Jean Mardochée VIL est le président du Conseil permanent de l’Eglise Episcopale en Haïti. Le 16 août 2022, il s’est présenté à la DCPJ, sur convocation. Il a été auditionné pendant toute une journée. Après son audition, il a été invité à rentrer chez lui et devait aussi apporter certains documents aux agents qui travaillaient sur le dossier. Les documents sollicités ont effectivement été acheminés à la DCPJ. Cependant, quelques jours après, il apprendra qu’un mandat d’amener avait été émis à son encontre en date du 13 août 2022, par le parquet de Port-au-Prince, soit trois (3) jours avant son audition par la DCPJ.
Vundla SIKHUMBUZO est un Zimbabwéen qui, par le passé, était chargé de rechercher et de lever des fonds en faveur de l’Église Épiscopale d’Haïti. Il menait ses activités principalement aux Etats-Unis, où il était basé. Par exemple, après le tremblement de terre de 2010, il était impliqué dans tout le processus de levée de fonds au profit de l’Eglise Episcopale d’Haïti. L’argent alors recueilli avait servi à réparer les bâtiments de plusieurs institutions de l’Eglise en question, qui avaient été endommagés.
En 2018, l’Église Episcopale aux Etats-Unis a mis fin à ses services en raison de son implication dans plusieurs scandales de corruption et dans un cas de violences conjugales.
Sur ce dernier cas principalement, il avait en effet battu sa femme avant de la brûler et de la laisser pour morte. En dépit de ces scandales à répétition et de cette tentative d’assassinat avec début d’exécution perpétrée le 5 mai 2017 à l’encontre de son épouse, de nombreux prêtres basés en Haïti ont continué à faire appel à lui pour la recherche des bailleurs de fonds, en vue du financement de certaines activités sociales et humanitaires de l’Église.
Dans le cadre de ses activités quand Vundla SIKHUMBUZO recevait des dons pour l’Église, il s’occupait aussi du dédouanement des containers. C’est ainsi qu’il a eu accès à toutes les informations relatives à la franchise accordée à l’Eglise Episcopale d’Haïti.
Toutefois, devant son incapacité à faire couvrir les trois (3) containers du 14 juillet 2022 par la franchise de l’Eglise Episcopale d’Haïti, il a obtenu de Lovenie LOUIS JEAN la promesse de faire les suivis. Et cette dernière engagea Gina Rolles JEAN-LOUIS comme broker. Elles sont toutes deux (2) arrêtées dans le cadre de cette affaire.
Fritz DESIRE est un prêtre de l’Eglise Episcopale d’Haïti. Ancien président du conseil permanent de l’Eglise, il est l’actuel directeur du Collège Saint Pierre. Il a été convoqué par la DCPJ mais ne s’y est jamais rendu. Il lui est reproché d’entretenir des liens avec des personnes recherchées par la DCPJ pour leur implication dans le trafic international d’armes à feu et de munitions. Un mandat d’amener a été émis à son encontre.
VI. ENQUETE MENEE AUTOUR DU DOSSIER
Depuis la saisie du 14 juillet 2022 effectuée à la douane de Port-au-Prince, plusieurs actions ont été posées par les autorités de police judiciaire et les autorités judiciaires.
Le 16 juillet 2022, la Brigade de Lutte contre le Trafic de Stupéfiants (BLTS) rattachée à la Direction Centrale de la Police Judiciaire (DCPJ) a opéré une perquisition à la résidence de Rémy LINDOR à Santo 17. Pour cette opération, pas moins de quatorze (14) véhicules de la DCPJ ont été mobilisés. Et, il est reproché aux nombreux agents qui y ont participé, d’avoir emporté cinquante (50) gallons de gazoline qui étaient entreposés dans l’espace, cent-trente-cinq mille (135.000) gourdes, sept cents (700) dollars américains, ainsi que plusieurs autres objets trouvés sur les lieux dont des tennis, un couteau, etc. L’épouse de Rémy LINDOR qui avait été interpellée dans le cadre de ce dossier, a été libérée le même jour.
Plusieurs mandats d’amener ont été émis dont certains à l’encontre de hauts dignitaires de l’Eglise Episcopale d’Haïti.
Le parquet près le Tribunal de première instance de Port-au-Prince, dans son réquisitoire d’informer signé par le magistrat Lucnase ETIENNE a décidé de mettre l’action publique en mouvement contre Samson FRANÇOIS, Gina Rolles JEAN-LOUIS et Lovenie LOUIS JEAN.
En date du 23 août 2022, le dossier a été transféré au cabinet d’instruction et confié au magistrat instructeur Chavannes ETIENNE.
Le 24 août 2022, sur ordre du magistrat Jacques LAFONTANT, une descente des lieux a été opérée au Collège Saint Pierre, à la recherche du directeur de l’établissement, Fritz DESIRE.
Le 23 septembre 2022, toujours sur ordre du magistrat LAFONTANT, le bureau diocésain de l’Église Épiscopale d’Haïti a été perquisitionné en l’absence d’un juge de paix et sans mandat de perquisition. Ce jour-là, des ordinateurs ainsi que le véhicule de fonction mis à la disposition du père Frantz COLE ont été emportés à titre de corps du délit.
a) Protection de certaines parmi les personnes indexées dans le dossier
Rémy LINDOR, le propriétaire des containers, Fernand JEAN PIERRE, l’expéditeur des huit (8) boites dans lesquelles les armes à feu, munitions, faux billets et autres objets illicites ont été retrouvés, Alerte ISAAC, le destinataire des boites en question ainsi que Vundla SIKHUMBUZO qui entamait les démarches frauduleuses pour le dédouanement desdits containers, ne sont pas inquiétés. Pourtant, le RNDDH ainsi que la population haïtienne s’attendaient à ce que l’enquête menée autour de ce dossier s’étende jusqu’à eux. A date, il n’en n’est rien.
Et, c’est justement cette volonté de laisser les personnes susmentionnées en-dehors de l’enquête qui permettra au RNDDH de découvrir des actions d’interférence du commissaire du gouvernement près le Tribunal de première instance de Port-au-Prince, Jacques LAFONTANT dans l’enquête judiciaire, en dépit du fait que le dossier ait été transféré au Cabinet d’instruction.
Il semble évident que Vundla SIKHUMBUZO a trafiqué pendant plusieurs années la franchise de l’Eglise Episcopale d’Haïti. Ils sont en effet nombreux les agents de la douane de Port-au-Prince à avoir jugé suspect le fait que la franchise de l’institution était utilisée par plusieurs personnes morales et physiques, qui n’étaient aucunement impliquées dans des activités religieuses ou de culte.
Rémy LINDOR vit à West Palm Beach aux Etats-Unis, dans la même zone que des parents du commissaire Jacques LAFONTANT. Le 14 juillet 2022, après avoir appris que des objets illicites ont été découverts dans un de ses containers, Rémy LINDOR a contacté le magistrat Jacques LAFONTANT et l’en a informé. Ce dernier lui a conseillé de rencontrer l’ancien ministre de la Jeunesse, des sports et de l’action civique, Ronald D’MEZA qu’il lui a présenté comme étant un avocat, le seul d’ailleurs capable de le tirer du pétrin dans lequel il se trouvait.
Quelques heures plus tard, le sieur Ronald D’MEZA a été rencontré dans son cabinet à la rue Grégoire, Pétion-Ville. Cette rencontre s’est déroulée en présence d’un avocat lui-même ancien commissaire du gouvernement près le Tribunal de première instance de Port-au-Prince. Et, au cours de la conversation qui s’y est tenue, Ronald D’MEZA a appelé au téléphone le magistrat Jacques LAFONTANT.
Le lendemain de cette rencontre, dans le courant de la journée, le sieur Ronald D’MEZA s’est rendu à la résidence privée du magistrat Jacques LAFONTANT, à la rue Cassagnol. Cependant, il n’a pu le voir à ce moment-là.
Aux environs de vingt-deux (22) heures, le magistrat Jacques LAFONTANT s’est rendu lui-même à Vivy Mitchell, à la résidence de Ronald D’MEZA. C’est alors que ce dernier s’ est formellement constitué pour la défense de Rémy LINDOR. Il s’est aussi engagé à, entre-autres :
• Obtenir le plus rapidement possible, la libération de Samson FRANÇOIS ;
• Remettre à leurs destinataires les boites qui n’avaient rien à voir avec celles qui contenaient les armes, munitions, faux billets et autres objets illicites découverts par les agents douaniers.
Il a aussi été décidé que Rémy LINDOR devait éviter de se rendre en Haïti pendant quelque temps.
Dix mille (10.000) dollars américains ont été réclamés pour la conduite du dossier. Le lendemain, la somme a été remise en mains propres au sieur Ronald D’MEZA. Il se trouvait alors à proximité de l’Eglise Shalom située à Delmas 33.
Enfin, il convient de souligner que, selon les informations recueillies par le RNDDH, la BLTS a remis le couteau qui avait été saisi dans le domicile de Rémy LINDOR au sieur Ronald D’MEZA qui en a informé la famille.
b) Déclarations du magistrat Jacques LAFONTANT
Lors d’un entretien avec le RNDDH, le magistrat Jacques LAFONTANT a précisé qu’il s’agit de deux (2) dossiers dans une même affaire. Le premier dossier concerne des actes de contrebande, de blanchiment des avoirs et de corruption. Le deuxième concerne le trafic d’objets illicites. Les deux (2) ont été confiés au magistrat Chavannes ETIENNE.
Il a aussi affirmé que toutes les actions posées par son parquet dans le cadre de ces deux (2) dossiers sont conformes aux prescrits de la Loi haïtienne. Pour ce qui a trait à la perquisition effectuée au bureau diocésain de l’Eglise Episcopale d’Haïti après que le dossier a été transmis au cabinet d’instruction, il a expliqué au RNDDH que le mandat de perquisition avait déjà été émis par son parquet bien avant l’acheminement du dossier au cabinet d’instruction. Par conséquent, le retard enregistré dans l’exécution de ce mandat n’est pas imputable au parquet de Port-au-Prince. C’est donc, dans ce cas-là, la lenteur de la DCPJ qui est à blâmer.
De plus, il a nié avoir été en contact avec Rémy LINDOR ou tout autre membre de sa famille. Il ne lui avait pas non plus recommandé le sieur Ronald D’MEZA comme avocat. Cependant, il a souligné à l’attention du RNDDH que ce dernier est son cousin. C’est donc Ronald D’MEZA qui l’a informé du dossier. Et c’est ainsi qu’il a aussi appris que son cousin avait réclamé dix mille (10.000) dollars américains pour la conduite dudit dossier. Enfin, le magistrat LAFONTANT a affirmé avoir persuadé son cousin de ne pas se charger de ce dossier qu’il tenait lui-même à mener à bien, dans le respect des garanties judiciaires de toutes les parties impliquées.
VII. COMMENTAIRES ET RECOMMANDATIONS
Le dossier du 14 juillet 2022 relatif à la saisie d’armes, de munitions, de faux billets et d’autres objets illicites revêt une importance particulière notamment en raison de la détérioration continue de la situation sécuritaire et de la prolifération des armes illégales dans le pays.
Le RNDDH estime que ce dossier doit être traité de manière sérieuse et responsable pour aider, par la traçabilité des armes saisies, à l’arrestation de tous les délinquants et de leurs complices qui s’adonnent au commerce juteux d’armes et de munitions sans tenir compte des conséquences meurtrières de ce trafic sur la population haïtienne, victime chaque jour d’actes attentatoires à sa vie et à ses biens.
Le RNDDH croit aussi que de manière sereine, une enquête sur l’intégrité de l’Eglise Episcopale d’Haïti doit être menée et, toutes les personnes entretenant encore ou ayant entretenu un lien avec cette institution, impliquées dans le trafic de franchise, doivent répondre de leurs actes par-devant les autorités judiciaires auxquelles il reviendra aussi d’établir leur implication dans le trafic d’armes et de munitions, à côté du trafic de franchise.
A date, l’enquête ne semble être menée que pour épingler l’Eglise Episcopale d’Haïti dans le trafic d’armes et de munitions. Cependant, le RNDDH estime qu’elle doit surtout être conduite à l’encontre des personnes directement concernées par la cargaison illicite qui a été saisie le 14 juillet 2022, en l’occurrence, l’expéditeur des huit (8) boites contenant les objets illicites, le destinataire ainsi que celui qui voulait à tout prix les faire sortir de la douane, en utilisant la franchise de l’Eglise Episcopale d’Haïti. Il s’agit de personnes dûment identifiées pour lesquelles les autorités judiciaires détiennent les coordonnées. Elles ne doivent donc pas être mises de côté.
S’il en est question, la responsabilité ou la négligence de l’entreprise Rémy Muti Services dans le transport de ces objets illicites, doit être clairement établie par la Justice. De plus, l’implication ou non du propriétaire de l’entreprise susmentionnée, à savoir Rémy LINDOR, dans des actes d’évasion fiscale et de corruption doit aussi être élucidée car, la tentative d’utilisation illégale d’une franchise suppose que la personne qui s’en rend coupable ne veut pas payer les frais de douane. Dans le cas de Rémy LINDOR, ces frais de douane ont été prélevés dans le montant exigé aux expéditeurs de colis.
Le RNDDH croit qu’il était insuffisant de la part des agents de la douane de Port-au-Prince de seulement s’abstenir de s’impliquer dans les processus de dédouanement des colis de l’Eglise Episcopale d’Haïti, alors qu’ils soupçonnaient un trafic de franchise. Ils auraient dû en référer à la commission interministérielle des investissements qui, selon le Code des investissements, est principalement chargée de statuer sur le retrait des avantages accordés aux institutions qui se rendent coupables du non-respect des obligations légales.
Le RNDDH condamne les actes d’interférence du commissaire du gouvernement près le Tribunal de première instance de Port-au-Prince, Jacques LAFONTANT dans ce dossier. En effet, en recommandant à titre d’avocat le sieur Ronald D’MEZA au propriétaire des containers et en continuant à mener une enquête parallèle alors que le dossier a été transféré au cabinet d’un magistrat instructeur, il a outrepassé ses obligations légales, constituant, ce faisant, une obstruction à la manifestation de la vérité. Par son comportement, il a dirigé tous les regards sur l’Eglise Episcopale d’Haïti alors que des personnes clairement identifiées, entretenant des liens directs avec les colis illicites saisis, ne sont nullement inquiétées. Ainsi, à trop vouloir protéger ses amis, le magistrat Jacques LAFONTANT a abusé de son autorité.
Le RNDDH estime enfin que ce dossier fournit aux autorités judiciaires la possibilité de sévir rigoureusement contre des personnes impliquées dans la contrebande et dans le trafic d’armes, de munitions et de franchise douanière. Il est donc de nature à leur permettre de lancer des signaux clairs à tous contrevenants qui s’adonnent à ces crimes ainsi qu’aux bandits armés qui sèment la terreur dans le pays.
Le peuple haïtien a droit à la vérité dans cette affaire. Et, c’est la raison pour laquelle, le RNDDH recommande aux autorités concernées :
• D’enquêter minutieusement sur ce dossier de trafic d’armes, de munitions, de faux billets et autres objets illicites, de contrebande et d’évasion fiscale ;
• De punir sévèrement tous ceux qui y sont impliqués, sans distinction aucune ;
• D’enquêter sur le comportement du commissaire du gouvernement près le Tribunal de première instance de Port-au-Prince, Maître Jacques LAFONTANT et d’étendre cette enquête sur le patrimoine de celui-ci ;
• D’enquêter sur le comportement des agents de la DCPJ qui se sont adonnés à des actes de pillage et de vols lors des perquisitions réalisées dans le cadre de ce dossier.
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Église Épiscopale | Saisie d’armes : Le RNDDH exige toute la lumière autour de ce dossier