Drame familial, huis clos angoissant, roman noir américain, souvenirs d’enfance, littérature militante… Notre sélection de romans parus cette année en éditions de poche vous donne le choix des genres, des atmosphères et des destinations. Bonne lecture !
r “La Familia grande”, de Camille Kouchner
Quand l’effroyable, l’inconcevable, l’irréparable est advenu, quand l’inceste, crime infect et diabolique, viol en habits de fête initiatique, a été perpétré, quand les sables mouvants du silence ont avalé le secret avec la sournoise approbation familiale, quand la vérité s’est tout de même hissée jusqu’à la surface pour se perdre dans le brouhaha cassant, tout-puissant, de l’hyperactivité mondaine et de l’ivresse dominatrice, que reste-t-il ? Écrire. Geste ultime de déminage intérieur, opération de la dernière chance, préparée avec une infinie conscience des dangers encourus, qui n’ont pas manqué de surgir, le livre à peine paru.
Ces risques, Camille Kouchner les a pesés pendant trente années « dans une lenteur effondrée ». Se taire, jusqu’à finir sous terre, faire silence à grand bruit, emporter sa douleur bravache dans la tombe après une vie de danse macabre, telle a toujours été la règle, dans sa tribu de célébrités brillantes, tante actrice, mère écrivaine, père ministre, beau-père politologue. Jusqu’à ce qu’une évidence s’impose, physique, mathématique, il faut répartir les masses sur les plateaux de la balance… Lire la suite de notre critique> Éd. Points, 7,50 €
r “Histoires de la nuit”, de Laurent Mauvignier
Fidèle aux Éditions de Minuit, « parce qu’un écrivain n’a jamais qu’un seul éditeur, celui qui l’a découvert », Laurent Mauvignier creuse son sillon, sa crevasse, sa faille sismique, depuis vingt ans. Chacun de ses livres procure le même choc. Choc de la magnificence d’une langue en lame de fond, qui sectionne ses phrases en milieu de ligne, puis les laisse déferler sur des pages. Choc de la puissance de personnages dépecés par leurs traumas, entraînés dans la précipitation d’événements qui les dépassent : le drame du stade du Heysel (Dans la foule, 2006), la guerre d’Algérie (Des hommes, 2009), la folie meurtrière des vigiles d’un supermarché contre un voleur de bière (Ce que j’appelle oubli, 2011), le 11 septembre 2001 (Autour du monde, 2014), la dérive d’un adolescent sauvé par un voyage initiatique au Kirghizistan avec sa mère (Continuer, 2016). Huis clos dans un hameau pris d’assaut par des rôdeurs qui revisitent leur passé, Histoires de la nuit, son dernier roman, est un thriller sur les faux-semblants qui maquillent chaque existence… Lire la suite de notre entretien avec Laurent Mauvignier> Éd. Minuit double, 10 €
s “Chavirer”, de Lola Lafon
Garder la tête haute, sourire coûte que coûte. Fendre l’air gracieusement, même quand on est laminé intérieurement. Sous ses apparences faussement sauves, la danse est toujours souffrance. Les griffures que laissent les armatures des bustiers sur les aisselles, les grilles gravées par les résilles sur la peau des cuisses, les ecchymoses qui maculent les pieds. Ces corps meurtris sortis d’un tableau de Francis Bacon, Lola Lafon les ausculte, les panse, les console, par la grâce d’une écriture impeccablement chorégraphiée, mêlant haute maîtrise et liberté vive, retenue et don de soi. Comme si chaque mot était un geste décomposé, comme si chaque phrase dessinait un mouvement, tour à tour ascensionnel ou abandonné, en vrille ou immobile. Elle aurait pu s’en tenir à cet admirable ballet verbal, cela aurait suffi à faire de Chavirer (Prix du roman des Étudiants France-Culture-Télérama) le grand roman sur la danse qui manquait à la littérature. Mais ce livre a trop de souffle, trop de coffre pour s’arrêter là. Exemplaire de lucidité, de droiture et d’intransigeance, Lola Lafon est une autrice en prise avec le réel, une militante dont la douce marginalité se double d’un sens aigu de l’humain… Lire la suite de notre critique> Éd. Babel, 8,70 €
s “Milkman”, d’Anna Burns
Elle a eu tort de s’emporter, de répondre à la rumeur par la colère. Cette prétendue liaison avec le laitier était fausse, mais les ragots enflaient, alors elle voulait les faire taire, et pouvoir continuer à lire en marchant. Peut-être aurait-elle dû faire profil bas, mais ce n’est pas son genre. Comment s’appelle-t-elle déjà ? La « sœur du milieu », rien de plus. Autour d’elle, il y a sa mère, ses neuf frères et sœurs, quelques beaux-frères, et aussi un « peut-être petit ami ». Ce garçon pourrait bien être son amoureux, mais rien n’est vraiment sûr. La ville non plus n’est pas nommée, cependant on pense au Belfast des années 1970, quand la violence grondait partout, dans les rues, les maisons, les cafés. Tout semble curieusement dépersonnalisé, dans Milkman, le puissant roman de l’Irlandaise Anna Burns, récompensé en 2018 par le Man Booker Prize. Pas vraiment de noms, ni de prénoms, ni de lieux. Pourtant, la romancière réussit à dessiner une société, un pays, une époque déterminés. Le poids de la religion, les tensions entre communautés, les incompréhensions familiales, les ragots, la pression paramilitaire… sont décrits à travers de minuscules détails qui brossent un portrait social lapidaire… Lire la suite de notre critique > Éd. Folio, 9, 40 €
r “La Tempête qui vient”, de James Ellroy
Le douzième roman de James Ellroy se lance à tombeau ouvert dans la tempête qu’annonce son titre. Sur l’autoroute qui mène à Los Angeles, les gerbes d’eau renversent la lumière des phares, les repères au sol s’effacent dans la nuit goudronneuse, la pluie fait un vacarme de tous les diables. Une rousse aux yeux verts, militaire de carrière, court à sa perte, « un peu pompette », mal à la tête, les mains exsangues crispées sur le volant. L’accident guette. Une collision terrible avec un véhicule chargé de clandestins et de marijuana. Son destin bascule. Joan Coville est une nouvelle venue dans l’univers d’Ellroy, d’autres l’accompagneront parmi les silhouettes familières. Bientôt, dans la violence du déluge, des torrents de boue libéreront un cadavre sur les pentes de l’observatoire de Griffith Park, la jeune femme se retrouvera mêlée à l’enquête. Et à d’autres encore, dont les innombrables protagonistes ne cessent de se croiser et les fils de s’emmêler… Lire la suite de notre critique > Éd. Rivages Noir Poche, 12 €
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q “L’Autre Moitié de soi”, de Brit Bennett
En plein mois d’août 1954, des jumelles de 16 ans profitent de l’agitation d’un barbecue municipal pour fuguer. La petite ville de Louisiane qu’elles quittent pour la première fois depuis leur naissance s’appelle Mallard, traduction « colvert », nom tout désigné pour un endroit dont les habitants cancanent à tout-va et soignent la couleur de leur visage jusqu’à l’obsession. Pour préserver les nuances laiteuses de leur peau noire, tous surveillent leurs mariages et leur exposition au soleil depuis plusieurs générations. Les deux sœurs ont grandi sous cette injonction à la blancheur maximale, tiraillées entre la honte et la fierté d’une identité intermédiaire, tandis que les affres de l’adolescence viennent bousculer un peu plus les contours de soi. Ainsi, Stella et Desiree ont appris à se cacher depuis belle lurette, et leur volatilisation n’est qu’une étape d’un processus appelé à durer. De quoi fournir à la romancière Brit Bennett l’occasion de briller dans la narration enlevée d’épisodes phares de leurs existences bientôt parallèles. Car les trajectoires des jumelles se séparent, entraînant le roman dans un cycle de scissions cellulaires perpétuelles, de jeux d’ombre et de lumière, de dédoublements de personnalité et de destin… Lire la suite de notre critique > Éd. J’ai Lu, 8,70 €
r “Souvenirs de la marée basse”, de Chantal Thomas
Souvenirs de la marée basse s’ouvre sur une baignade fondatrice. Le tableau est intrigant, délicieux, inoubliable. On y voit une toute jeune fille à la mince silhouette garçonne crawler élégamment dans les eaux troubles du Grand Canal des jardins de Versailles. C’est un matin de juillet, la nageuse est arrivée à bicyclette, et elle ne repartira que lorsqu’un vieux jardinier se sera aperçu de sa présence incongrue dans le royal bassin. Eugénie, la grand-mère de Chantal Thomas, ne se lassait pas de raconter ce bain fantasque auquel s’adonna un jour sa fille Jackie, alors adolescente. Jackie que la passion — ou doit-on dire plutôt la vocation ? — de la nage ne quitta jamais ; et qui, s’immergeant tout au long d’un été dans les eaux bleues d’un lac de montagne, alors qu’elle était enceinte de sa fille Chantal, lui transmit peut-être in utero cette inclination aquatique… Lire la suite de notre critique > Éd. Points, 6,90 €
q “Histoire du fils”, de Marie-Hélène Lafon
Un siècle, trois lieux, une affaire de famille, serrés en 170 pages d’une beauté presque physique, récompensées par le Prix Renaudot 2020. Marie-Hélène Lafon n’aime pas le gras, la vaste saga romanesque, les détails psychologiques et les mouvements inutiles. Son écriture est charnelle, vertigineuse même, quand les images s’imposent pour mieux bouleverser la lecture. La scène inaugurale d’Histoire du fils, située en 1908, est un mouvement de caméra sur les pieds nus d’un enfant qu’on reverra peu. Il file vers la cuisine, le drame, les cris, la fin d’un monde. Puis, Marie-Hélène Lafon nous fait croire qu’elle passe à autre chose. À André, par exemple, né à Figeac, d’une mère absente et d’un père « inconnu », que sa tante va élever comme son enfant. Si les femmes ne manquent pas autour du jeune garçon, il cherche l’image paternelle dont on ne lui parle pas et qui devient le cœur de ce récit magnifique, comme le sont les paysages traversés… Lire la suite notre critique > Éd. Folio, 7,60 €
s “Combats et métamorphoses d’une femme”, d’Édouard Louis
C’est l’histoire d’une réconciliation et d’une renaissance. L’histoire d’un amour prétendument fondateur – celui d’un fils pour sa mère –, mais ici longtemps refusé, et qui enfin vient au jour. L’histoire d’une « enfance à l’envers »… Et d’une femme aliénée – Monique, la mère – qui se métamorphose. Depuis En finir avec Eddy Bellegueule (2014), fulgurant récit de premières années douloureuses dans une famille aux frontières de la misère, et Qui a tué mon père (2018), où il revenait sur sa relation à l’homme qu’il avait tant redouté, mais dont il réalisait maintenant qu’il était la victime d’un système libéral indifférent aux misérables, on savait qu’Édouard Louis, 28 ans, aimait à creuser sans fin sa propre histoire. Et militant de gauche affiché, excellait à dire à travers lui, les siens, notre monde fracassé. Ses livres suscitèrent la polémique, et ses proches l’accusèrent de travestir la vérité. Mais quelle vérité, si ce n’est celle qu’on vit dans sa chair… Est-ce cependant regret, repentir ? Lire la suite de notre critique > Éd. Points, 5,90 €
r “Un jour ce sera vide”, de Hugo Lindenberg
L’enfance nous abandonnera-t-elle jamais ? Manifestement non, à en croire le très beau premier roman d’Hugo Lindenberg, qui a les idées particulièrement claires pour analyser la confusion de ses sentiments et manie la plume avec style. Il raconte la rencontre fulgurante d’un garçon de 10 ans avec Baptiste, qui évolue solidement entre la maison parfaite de ses parents parfaits et la plage où il irradie. Un choc pour son contraire, le narrateur, l’enfant solitaire veillant avant tout à ne pas attirer l’attention, honteux d’être à la mer avec une vieille dame à l’accent prononcé, gêné par ses cheveux bouclés et sa peau pâle, surtout assailli par des « monstres » de toute nature. Baptiste, c’est comme s’il comprenait tout à ce sentiment de différence que ressent son nouveau camarade, comme s’il avalait, absorbait sa carapace. Il est le seul à savoir aborder l’essentiel, l’absence de la mère de son ami… Lire la suite de notre critique > Éd. Le Livre de Poche, 7,40 €

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r “Liv Maria”, de Julia Kerninon
Présence intense, l’identité de l’héroïne brille dans le titre. Comment pouvait-il en être autrement avec une femme d’un tel tempérament ? Ce n’est pas un hasard si Julia Kerninon a choisi les trois premières lettres du mot livre pour nommer Liv Maria, élevée sur une petite île par un père fou de Faulkner, Beckett et London, et par une mère tenancière de café merveilleusement appelée Mado Tonnerre. Voilà qu’un viol éjecte la jeune fille de son adolescence. Exilée à Berlin deux ans avant la chute du Mur, pour que les bourgeons de la honte fleurissent en fleurs de la renaissance, la voilà convoitée par un professeur d’anglais dont le fils a presque son âge. Un destin se dessine, d’un trait sec, sûr, noueux. Percée à jour dans ses grandes lignes, une existence expose son ossature solide, trame d’un récit qui court sur plusieurs décennies et s’en tient à l’essentiel : l’émotion profondément enfouie, moteur imperceptible des trajectoires de libération… Lire la suite de notre critique > Éd. Folio, 240 p., 8,20 €
q “Les Argonautes”, de Maggie Nelson
« Tu as crevé ma solitude… Je sens que je peux tout te donner sans me perdre moi-même », lui a-t-elle dit un jour. C’était en 2007, aux tout premiers temps de leur amour. Maggie venait de rencontrer Harry — Harry Dodge, né Wendy Malone, vidéaste et performeur, se revendiquant « gender fluid », ni homme ni femme : « un spécial, un deux pour un », fait-il dire à son avatar dans un de ses films. Du récit et de l’examen de cet amour, Maggie Nelson a nourri Les Argonautes, livre parfaitement singulier, vif et rétif, aussi substantiel et généreux qu’insubordonné, échappant à tout résumé et à toute catégorisation. Aux États-Unis, l’écrivaine et essayiste (née en 1973) est considérée comme une des voix majeures de la non-fiction contemporaine, héritière tant de Judith Butler (pour l’intérêt porté aux questions ayant trait au genre) que de Susan Sontag (pour l’originalité de sa démarche, qui mêle volontiers autobiographie et théorie)… Lire la suite de notre critique > Éd. Points, 6, 90 €
r “Tout un monde lointain”, de Célia Houdart
Célia Houdart aime les entrées en matière impromptues, les ouvertures en queue de poisson. Elle emboîte ici le pas à un bébé qui met pour la première fois un pied devant l’autre, dans les herbes sauvages des rives du lac Majeur, au printemps 1918. Un prologue randonneur, donc, une fausse piste qui n’est là que pour imprimer la cadence : on avance, on vacille, on se ressaisit, et on atteint l’inexploré. Le reste du roman suit l’enfant devenue vieille, baptisée Gréco comme Juliette et traînant son ennui sur la côte monégasque. L’aura de cette femme aurait pu suffire à Célia Houdart pour dérouler son écriture végétale, sans une once de graisse, pleine de fragilité et de sauvagerie. Mais soudain, une secousse, une rencontre, un chamboulement. Gréco est confrontée à la jeunesse, elle en perd ses principes, et accueille le changement. La révolution a lieu dans la célèbre villa E.1027, éblouissante création de l’architecte Eileen Gray. Très inspirée par le lieu, qui existe réellement — la villa est à Roquebrune-Cap-Martin, dans les Alpes-Maritimes —, Célia Houdart s’est offert une libre fantaisie captivante, une rêverie parfois diabolique, qui ne prend jamais la direction attendue… Lire la suite de notre critique > Éd. POL #formatpoche, 12 €
r “Hamnet”, de Maggie O’Farrell
En 1596, la peste leur vole un enfant. Shakespeare en fera Hamlet. Mais c’est la douleur sans fard de sa femme qui pétrit ce roman puissant. Les corps, leurs désirs et leurs pestilences obsèdent depuis son premier livre l’Irlandaise Maggie O’Farrell. Vingt ans après Quand tu es parti, elle continue de remettre en question les liens familiaux, les mensonges et les deuils. Si la romancière met en scène Shakespeare, elle s’intéresse essentiellement à son épouse, Agnès, singulière guérisseuse, préférant la campagne aux dorures de la capitale anglaise. Entre Agnès la sauvageonne et William le précepteur amateur de littérature, il y a d’abord un coup de foudre. Puisqu’elle est très vite enceinte, il leur faut se marier. Mais Agnès reste indépendante et accepte de voir partir son époux pour Londres et devenir loin d’elle un célèbre dramaturge. Il y a du sacrifice dans cette attitude, mais le drame est ailleurs, quand la peste ronge les corps de ses enfants… Lire la suite de notre critique > Éd. 10/18, 8,50 €
r “Ce genre de petites choses”, de Claire Keegan
Bill Furlong est de nature anxieuse. Dans la petite ville de New Ross, en Irlande, ce vendeur de charbon voit bien que le chômage brise les familles. Pourtant, il n’a pas de raison de s’inquiéter. Sa femme, Eileen, réussit à mettre trois sous de côté chaque mois, et leurs cinq filles ne manquent de rien. Mais Furlong est rongé par la peur de tout perdre, sachant, depuis sa naissance, que la vie peut basculer du mauvais côté. Eileen a les pieds mieux ancrés dans la terre. C’est une bonne catholique qui connaît le prix des choses et sait séparer le bien du mal. Le couple s’entend plutôt bien, même si Furlong est du genre à donner sa monnaie aux plus pauvres, quitte à oublier la quête à l’église. Ce sont ces « petites choses » qui finissent par rendre la vie plus compliquée. Habituellement, Claire Keegan accompagne les femmes irlandaises dans leur vie quotidienne, les adolescentes dans leur désir de liberté. Avec ce court récit, elle suit les cheminements d’un homme élevé par sa mère, père de cinq filles et bouleversant d’humanité… Lire la suite de notre critique > Éd. Le Livre de Poche, 6, 90 €

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r “Le Dernier Été en ville”, de Gianfranco Calligarich
C’est quatre décennies après sa parution originale que, d’Italie, nous est parvenu ce beau roman triste — d’une tristesse altière et crâne, étincelante et obstinée, de celles qui se passent d’épanchements et de larmes. De son auteur, Gianfranco Calligarich, on ne sait rien, si ce n’est qu’il a aujourd’hui 75 ans, et que ce Dernier Été en ville fut son premier roman. Il y met en scène, à la toute fin des années 1960, un jeune Milanais venu faire sa vie à Rome. Quoique faire sa vie est, dans son cas, beaucoup dire — et surtout mal dire. « Mes amis avaient des idées très précises, obtenir un diplôme, se marier et gagner de l’argent, mais cette perspective me répugnait. » Leo Gazzarra, pour sa part, serait « volontiers resté en dehors de la course ». De fait, son départ vers Rome ressemble à une fugue plutôt qu’à un envol, une échappée sans retour, loin de ce Nord italien industrieux que le miracle économique a converti au matérialisme, loin de ce père aimant mais trop grave auprès duquel il a grandi…Lire la suite de notre critique > Éd. Folio, 7,60 €
s “Betty”, de Tiffany McDaniel
Betty a compris très jeune que l’imagination sauvait les âmes inquiètes, qu’on pouvait décrire le paysage à une jument aveugle et que, derrière les nuages nocturnes, habitent les « mangeurs de peur ». Son père, Landon, un Indien cherokee, lui a enseigné la vie à sa manière, celle d’un guérisseur et grand connaisseur de la nature. Sa mère, Alka, blonde au « teint de pêche », lui a transmis sa fragile humanité. Tiffany McDaniel, 35 ans, s’est inspirée de sa propre famille pour composer ce roman magnifique, autour d’une héroïne enchanteresse, capable de tenir tête aux hommes violents et aux écoliers racistes. Betty, l’une des huit enfants de Landon et Alka, naît en 1954 « dans une baignoire vide à pieds de griffon », héritant de la peau cuivrée du père et de son goût pour la contemplation. Le lecteur la regardera prendre son envol dix-neuf ans plus tard, laissant derrière elle une ribambelle de deuils, de violences, mais surtout d’amour… Lire la suite de notre critique > Éd. Gallmeister, coll. Totem, 13 €
s “Maïmaï”, d’Aki Shimazaki
Maïmaï signifie « escargot » en japonais, mot que le héros Tarô, sourd de naissance, n’a jamais entendu, mais que sa maman lui a enseigné en langue des signes quand il était petit, pressentant que son fils aurait besoin de déployer attentivement ses antennes pour se frayer un chemin dans l’existence. D’autant que Tarô cumule deux handicaps aux yeux de la société japonaise : il est aussi métis, né d’un père espagnol qu’il n’a jamais connu. Sa mère meurt au début du livre, emportée par trop d’alcool, de tabac et de mensonges, alors que Tarô sort de l’adolescence… De l’autrice Aki Shimazaki (qui vient de publier un nouveau roman, No-no-yuri) on sait qu’elle est née au Japon en 1954, qu’elle vit au Canada depuis 1981, et qu’elle a attendu l’âge de 40 ans pour apprendre le français. Le mystère reste entier sur les raisons pour lesquelles notre langue lui a soudain révélé sa nature profonde, au point qu’elle en fasse son unique outil d’écriture pour de singuliers romans sur la quête de soi. Non-dits, cachotteries, silences, tabous circulent en apnée entre ses livres qui peuvent se dévorer dans n’importe quel ordre, les héros de l’un devenant personnages secondaires de l’autre, et vice versa… Lire la suite de notre critique > Éd. Babel, 6, 90 €
r “Les Aventures de China Iron”, de Gabriela Cabezón Cámara
Écrivaine engagée dans les causes féministes et LGBT, Gabriela Cabezón Cámara signe là son second roman, après l’épopée queer Pleines de grâce. Née en 1968, elle remue un classique de la littérature argentine : Martín Fierro (1872), poème épique de José Hernández racontant la vie d’un gaucho de la pampa. À partir d’un personnage secondaire, China Iron, l’autrice imagine cette femme abandonnée par le héros se lancer à la conquête de la liberté avec une Anglaise, Liz. Sans aigreur pour son modèle et en évitant l’écueil d’une littérature militante, Gabriela Cabezón Cámara renouvelle la littérature des grands espaces en lui offrant de nouvelles possibilités — l’homosexualité, l’attention aux vivants non humains, la rencontre de l’altérité amérindienne… Lire la suite de notre critique > Éd. 10/18, 7,60 €
s “Rendez-vous à Samarra”, de John O’Hara
John O’Hara (1905-1970) n’est peut-être pas en France un parfait inconnu, mais il s’en faut de très peu. Pourtant, dès le milieu des années 1940, est parue la première traduction de cet âpre et splendide Rendez-vous à Samarra, son premier roman, qu’il avait publié aux Etats-Unis une dizaine d’années plus tôt et que la critique américaine s’accorde aujourd’hui encore à considérer comme son chef-d’œuvre. Sommes-nous prêts à découvrir cet écrivain qui eut la mauvaise idée, ou la malchance, d’être le contemporain de Faulkner, de Hemingway, de Fitzgerald, qui à eux trois accaparent à peu près tout l’espace sur le tableau de la littérature américaine de l’entre-deux-guerres ? Un écrivain qui, comme pour aggraver son cas, s’est taillé une réputation de type franchement antipathique, misogyne et alcoolique au tempérament querelleur, le genre de personnage qu’on préfère oublier avoir croisé sitôt qu’il a tourné les talons… Lire la suite > Éd. Petite Bibliothèque de l’Olivier, 11,90 €

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Les vingt grands livres de poche 2022 à siroter cet été