Livres : que faut-il lire et (ou) offrir en cette fin d’année ?

La France, patrie littéraire ? Le terme n’est pas usurpé, quand on se souvient de la fréquentation exceptionnelle lors de la réouverture des librairies après les deux confinements de 2020 (+ 32 % en juin et + 35 % en décembre), phénomène “qui n’a pas connu aucun équivalent à l’étranger”, comme le rappelle le Syndicat national de l’édition. Pour garder le cap en cette fin d’année 2021 et célébrer le livre sans se perdre dans la jungle, voici quelques pistes de lecture fournies par la rédaction de L’Express. 

A lire…

Un Goncourt pour tous Vous avez peut-être oublié de lire L’Express ces derniers temps et ne savez toujours pas quoi penser du prix Goncourt 2021. Il n’est jamais trop tard… Foncez acheter La Plus Secrète Mémoire des hommes du Sénégalais de Beauvais, Mohamed Mbougar Sarr, le 4e et formidable roman d’un jeune auteur de 31 ans que les Dix de chez Drouant ont eu l’heur de couronner. Un livre, délicieuse mise en abyme littéraire, qui joue avec humour sur tant de registres qu’il devrait ravir tout type de lecteur, qu’il soit friand de romans historiques (de la colonisation au nazisme), de faits divers, d’enquêtes, de récits d’aventure, ou encore de réflexions philosophico-littéraires (sur l’écriture, la transmission et le plagiat), le tout sous la tutelle de Roberto Bolagno et de Milan Kundera. Ils sont déjà plus de 230 000 à avoir franchi la porte des libraires, emboîtez-leur le pas. Marianne Payot 

La Plus Secrète Mémoire des hommes 

Offre limitée. 2 mois pour 1€ sans engagement

Par Mohamed Mbougar Sarr. 

Editions Philippe Rey/Jimsaan, 464 p., 20 €. 

Un bijou de délicatesse Les lecteurs sujets à l’entomophobie pourraient s’arrêter à la photo d’insecte en gros plan sur la couverture, les angoissés du vieillissement être freinés par le mot d’Alzheimer figurant au verso, mais les uns et les autres auraient tort de ne pas se plonger dans ce petit bijou de délicatesse qu’est le Sémi de la Québecoise d’origine japonaise Aki Shimazaki. Un matin, Fujiko ne reconnaît plus son mari et demande, dans la chambre de la résidence d’aînés où ils habitent depuis six ans, que leurs lits soient isolés. D’abord choqué, il accepte de (re)jouer le rôle du fiancé et de revisiter cinquante ans d’une vie conjugale à côté de laquelle il est largement passé. Sémi est une superbe manière d’entrer dans l’oeuvre de cette romancière qui vit au Québec depuis les années 1980 et écrit en français. Son cycle Le Poids des secrets a déjà reçu plusieurs récompenses. Agnès Laurent 

Sémi 

par Aki Shimazaki, 

Actes Sud, 162 P., 15 €.  

Feu de joie Preuve de l’excellence de ce livre : il a enchanté Alain Finkielkraut, pourtant plus habitué à prendre de haut les jeunes écrivains contemporains. Il est vrai que Maria Pourchet a réussi un sacré tour de force avec Feu. Elle a su réinventer le roman d’adultère grâce à un sens de l’ironie qui aurait fait sourire Flaubert. Sa façon de camper un personnage masculin drôle, fragile et attachant change des foudres néoféministes qui ont cours dans la littérature actuelle. Enfin elle a obtenu un succès de librairie malgré un style exigeant, dont l’originalité peut désarçonner. Il n’a manqué à Maria Pourchet qu’un grand prix d’automne (elle était sur toutes les listes). Nul doute qu’elle a pris date et se verra récompensée dans les prochaines années. Louis-Henri de La Rochefoucauld 

Feu  

par Maria Pourchet. 

Fayard, 360 p., 20 €. 

Vive Kylian ! Non, le ciel ne nous est pas tombé sur la tête, c’est bien le petit gars de Bondy que nous voulons célébrer ici, ou plus précisément le roman graphique inspiré de la vie du Numéro 7 du PSG. De vignette en vignette, on suit Kylian Mbappé, de sa naissance à ses 20 ans, et c’est un régal ! On se croirait dans Le Petit Nicolas de Sempé, tant le crayon de Faro, le bédéiste et dessinateur de L’Equipe, a su ressusciter la gouaille et les mimiques de l’étonnant virtuose du ballon rond. Tout est dit : le caractère obsessionnel, l’hyperactivité et la “mythomanie” du jeune surdoué, la patience angélique et l’intelligence de ses parents (Wilfrid, entraîneur de l’AS Bondy, Fayza, joueuse de hand), la sagesse du clan Mbappé, l’ascension fulgurante de l’élève de Clairefontaine… Drôle, lucide, bourré d’autodérision, un album à mettre entre toutes les mains. M. P. 

Je m’appelle Kylian 

Par Kylian Mbappé et Faro. 

KM éditions, 224 p., 19,95 €. 

L’UE à hue et à dia Alors que la France s’apprête à présider le Conseil de l’Union européenne, ce troisième roman impitoyable d’Aram Kebabdjian se révèle d’une singulière actualité. Il nous entraîne en effet dans le sillage du juge italien Sigmund Oropa, 52 ans, relégué à un poste secondaire de l’Office des fraudes de l’Union en raison de son zèle à lutter contre les malversations. Mais lorsqu’une mystérieuse informatrice turque lui procure les preuves irréfutables d’une “affaire explosive” d’extorsion de fonds et de corruption au sein de la commission des affaires extérieures à propos d’un camp de réfugiés, notre homme se décide à agir. A dénoncer haut et fort ce commerce des déplacés “plus rentable que tous les autres réunis”. C’est compter sans une bureaucratie attentiste et les propres atermoiements de Sigmund, rattrapé par son passé. Une lecture à conseiller au président Macron ! Delphine Peras 

L’Hymne à la joie 

Par Aram Kebabdjian. 

Éditions du Faubourg, 236 p., 18 €. 

Futur prêtre et petite victime Après le séisme et le feu, se fait entendre dans la Bible “une voix de fin silence”. Après les révélations sur la pédophilie dans l’Eglise, le témoignage du père Goujon, prêtre agressé enfant par un autre “homme de Dieu”, a la finesse de la voix biblique, délicate mais ferme. Une voix retrouvée après un long déni qui avait enfoui la douleur dans les cervicales : à 45 ans, le prêtre jésuite s’est soudain souvenu de l’innommable. Ce petit livre a une face tournée vers notre actualité – celle du rapport de la commission Sauvé – et confirme toute l’étendue des crimes et des défaillances ecclésiales. Mais il a aussi une face intemporelle, tournée vers l’intime où se joue l’épreuve de toute vie, loin des manuels de piété. Une parole belle et rare. Philippe Chevallier 

Prière de ne pas abuser 

Par Patrick C. Goujon. 

Seuil, 96 P., 12 €. 

L’amant de l’Académie François-Henri Désérable avait déjà connu le succès, mais on pouvait jusqu’ici lui reprocher de jongler brillamment sans mettre sa peau sur la table. Pour la première fois, son talent sert un sujet intime et douloureux – un triangle amoureux qui, inévitablement, fait des dégâts. C’est son roman le plus personnel, le plus triste et le plus cru, et paradoxalement le plus désinvolte, le plus inventif et le plus amusant. En disciple de Pierre Michon, maître de l’ascèse stylistique, Désérable a écrit et réécrit ce livre parfaitement tenu. Il a coupé un quart du manuscrit original pour ne garder que 188 pages vibrantes de bout en bout, qui lui ont valu le grand prix du roman de l’Académie française, amplement mérité. En attendant d’entrer sous la Coupole dans quelques décennies ? L.-H. DE L. R. 

Mon maître et mon vainqueur 

par François-Henri Désérable 

Gallimard, 188 p., 18 €. 

Une cité chauffée à blanc C’est l’histoire d’une “gamine vengeresse”. Lucie, 13 ans, vit dans une cité HLM, avec sa mère Juliette, quelque part en banlieue parisienne. Lorsqu’un camarade de classe poste sur Facebook un montage d’elle avec “une bite dans la bouche”, Lucie voit rouge, lui mord l’oreille et avale le lobe ! Exclusion immédiate de son bahut. Pire, le père du garçon vient réclamer à Juliette 1 000 euros en liquide sinon il portera plainte. La “gamine croque-mitaine” décide de trouver l’argent seule, coûte que coûte… Le temps d’un été torride, ce premier roman évoque la violence du “couperet social”, une relation mère-fille touchante, mais brosse surtout le portrait haut en couleur et en douleur d’une pré-ado qui ne s’en laisse pas conter. Si l’écrivain lui emprunte sa langue frondeuse, il l’agrémente de formules inspirées et chauffées à blanc. Un livre qui remue les tripes. D. P. 

Et même l’enfer c’est pas grand-chose 

Par Bruno Lus. 

Grasset, 222 p., 19 €. 

La maternité, une fin en soi ? Avec ce roman construit autour de 18 lettres écrites par la narratrice à ses trois enfants, Marie Petitcuénot éclaircit dans un souffle rageur et tendre ce que tant de mères ont déjà ressenti. Sans forcément oser (se) l’avouer. Aux côtés de la joie de voir s’épanouir sa progéniture, de la poésie de l’enfance, de cet amour inconditionnel, il y a l’impatience presque toujours déçue des week-ends. L’exaspération, l’aliénation au monstre domestique, l’étouffement, la solitude, la culpabilité éternelle, l’inquiétude, l’épuisement… Mais surtout, le rappel à l’ordre constant – émanant d’ami(e)s, profs, sage-femme, médecins, collègues, etc – que subissent celles qui refusent de faire de la maternité une fin en soi. L’auteure sait à merveille dire les petites choses du quotidien et son écriture est si férocement juste qu’elle transcende ce qu’il pourrait y avoir d’un peu attendu dans ce premier roman aux allures de manifeste. Pauline Leduc 

Ce qui gronde 

par Marie Petitcuénot. 

Flammarion, 183 P. , 18 €. 

Passages parisiens De 1927 à sa mort en 1940, le philosophe allemand Walter Benjamin, hanté par la catastrophe qui menace l’Europe, s’attelle à la rédaction d’un grand livre dédié aux passages parisiens. L’oeuvre inachevée, dédale de digressions et de citations, raconte la modernité occidentale à travers un rêve : celui dans lequel nous plongent les voies piétonnes ouvertes, au XIXe siècle, entre les boulevards parisiens, féeries marchandes éclairées au gaz, fantasmagories de verre. La critique du mythe capitaliste se fait déambulation mélancolique à travers un passé relu à l’ombre de Baudelaire. Cette errance rend le livre fascinant, hypnotique : “Pour le flâneur, chaque rue est en pente”… On salue la réédition de l’excellente traduction française d’un ouvrage essentiel. P. Ch. 

Paris, capitale du XIXe siècle, Le livre des passages 

par Walter Benjamin, traduit par Jean Lacoste. 

Le Cerf, 974 p., 30 €. 

A déconseiller

Même pas peur Il a la passion des résidences d’écriture luxueuses (il a été pensionnaire à la Villa Médicis et à la Villa Kujoyama), mais dans son nouveau livre il se complaît dans un décor glauque, avec des personnages qui ne le sont pas moins. Tout y est sinistre. De qui se moque Jean-Baptiste Del Amo ? Très coté (surcoté ?) depuis son Goncourt du premier roman obtenu pour Une éducation libertine en 2008, l’ancien jeune homme prometteur vieillit mal. Il est difficile de ne pas rire devant cette tentative de thriller psychologique poussive, écrite dans un charabia ultrapontifiant, poseur et prétentieux. Malgré tous ses défauts, Le Fils de l’homme a reçu le prix du roman Fnac. On préfère ne pas savoir qui en compose le jury, visiblement masochiste. Ce sera sans nous. L.-H. DE L. R. 

Le Fils de l’homme  

par Jean-Baptiste Del Amo. 

Gallimard, 240 p., 19 €. 

Goncourt des écoliers Chroniqueuse sur TMC, Lilia Hassaine a fait le buzz à la dernière rentrée en se moquant (à juste titre) des fautes d’orthographe qui émaillent le livre de Zemmour. Quand elle ne passe pas à la télé, elle est romancière chez Gallimard. Il y aurait, hélas, beaucoup à dire sur le style de cette arbitre des élégances grammaticales. Raconter trente ans d’une famille algérienne en 160 pages : elle ne s’est pas foulée. Elle a figuré sur la liste du prix Goncourt, et a été finaliste du Goncourt des lycéens. Elle avait tout pour elle : un sujet de société, des personnages de “femmes puissantes”, un livre court, une langue pauvre compréhensible par les redoublants récidivistes. Cela n’a pas suffi. Il aurait peut-être fallu créer pour elle une nouvelle catégorie : le Goncourt des écoliers. L.-H. DE L. R. 

Soleil amer 

par Lilia Hassaine. 

Gallimard, 160 p., 16,90 €. 

Flinguée pour de bon Si quelqu’un a compris quelque chose au dernier Céline Minard, qu’il n’hésite pas à nous en envoyer la traduction en français. La quatrième de couverture vante une “fascinante cosmo-vision” inventant “un genre littéraire, forme éclatée et renouvelée du livre-monde”. Rien que ça. Avec le professionnalisme qui nous caractérise, on s’y est repris à plusieurs fois : impossible de s’y retrouver dans ce trou noir mêlant science-fiction, expérimentations et foutaises en tout genre. Céline Minard fut il y a quelques années une romancière à la mode, lauréate du prix du Livre Inter pour Faillir être flingué. Elle a depuis retourné l’arme contre elle en alignant des textes de plus en plus hermétiques (comprendre : imbitables). Saluons au moins la beauté de ce geste kamikaze. L.-H. DE L. R. 

Plasmas 

par Céline Minard. 

Rivages, 158 p., 17 €. 

Méchant esclavage Quand, en 2018, toute la presse et le jury du Goncourt des lycéens s’enflamment pour son 2e roman, Frère d’âme, et que, cerise sur le gâteau, ce même roman (traduit par Anna Moschovakis) reçoit le prix international Man-Booker en 2021, vous vous inclinez, même si la lecture de cette mélopée mêlant les tranchées de 1914 et les affres du colonialisme vous a passablement ennuyée. Mais lorsque le roman suivant de l’enseignant-chercheur d’origine sénégalaise David Diop est de nouveau sélectionné par les Goncourt, vous vous inquiétez. Ou ces derniers ont basculé dans le “politiquement correct”, ou vous êtes devenue insensible aux malheurs du monde passé. Ou plutôt aux convenances. Quoi de plus convenue en effet que cette histoire d’un botaniste français découvrant les horreurs de l’esclavage et s’enflammant pour une jeune Africaine en fuite ! Sur un thème “frère”, lisez plutôt l’épatant Ténèbre (J’ai lu), de Paul Kawczak. M. P.  

La Porte du voyage sans retour 

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Par David Diop. 256 p., 19 €. 


Marianne Payot, Louis-Henri de La Rochefoucauld, Delphine Peras, Philippe Chevallier, Agnès Laurent et Pauline Leduc


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Anne Rosencher est directrice déléguée de la rédaction de L'Express.Anne Rosencher

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