La Golden Globe Race, une course autour du monde et pour remonter le temps

Comme le Vendée Globe, la Golden Globe Race (GGR) est une course à la voile autour du monde, en solitaire et sans escale, qui démarre et s’achève aux Sables-d’Olonne. Mais alors que la première épreuve envoie de très chers bijoux de technologie sur les océans, la seconde, dont la troisième édition débute ce dimanche, prend le contrepied. Les 16 engagés de dix nationalités différentes – 15 hommes et la Sud-Africaine Kirsten Neuschäfer – navigueront à travers les mers et le temps, sur des monocoques d’environ 10 mètres, vieux d’au moins 35 ans. Sans équipement moderne, mais armés de leur courage, d’un antique sextant et d’une carte en papier pour effacer 30.000 milles nautiques, soit 55.560 km.

« Je veux faire cette course depuis la première édition en 1968, confie l’Anglais Simon Curwen (63 ans), l’un des favoris. J’étais tout jeune, et déjà fanatique de voile. Ensuite, il y a eu des courses avec des étapes et par équipes, mais ça ne m’intéressait pas trop. Il y a aussi le Vendée Globe, mais c’est plus cher, réservé aux professionnels. Je suis un navigateur amateur [deuxième de la Mini-Transat 2001 en prototype, entre La Rochelle et Salvador de Bahia au Brésil]. »

Le parcours de la Golden Globe Race 2022.
Le parcours de la Golden Globe Race 2022. – GGR

Son budget pour la GGR s’élève tout de même à quelque 150.000 euros (jusqu’à 10 millions d’euros pour le Vendée Globe). Mais le sexagénaire espère bien revendre à son retour le Biscay 36 joliment baptisé Clara acheté en 2019, et récupérer « environ 100.000 euros ».

La course inaugurale d’il y a 54 ans, organisée par le journal britannique The Sunday Times, n’a pas seulement fait rêver le jeune Curwen, devenu ingénieur de profession, spécialiste de la dépollution des sols et des eaux souterraines. La dramaturgie de l’épreuve a dépassé de loin le petit monde marin. Sur les neuf concurrents au départ, seul l’Anglais Robin Knox-Johnston est arrivé à bon port, en 312 jours.

Une première édition en 1968 entrée dans la légende

Sept autres ont abandonné, dont le Français Bernard Moitessier, dédaignant une victoire qui lui était promise pour entamer un deuxième tour du monde et débarquer à Tahiti. Cette épopée libertaire si propre à l’époque, il la décrira dans un ouvrage au succès international, La Longue Route. Le corps du dernier skipper de l’aventure, Donald Crowhurst, ne sera jamais retrouvé. Ingénieur inexpérimenté au bateau inadapté, le Britannique s’est noyé dans ses mensonges, en communiquant de fausses positions. Cette tragédie solitaire a inspiré de nombreux auteurs et réalisateurs.

Désormais, balises, GPS et satellites permettent aux organisateurs de connaître la position des embarcations, et d’intervenir en cas de pépin. Seulement, pour respecter l’esprit originel, les skippers n’ont pas accès à ces données. « C’est l’une des rares courses où le public est davantage informé de la position et de la vitesse réelles des bateaux que les navigateurs », sourit Sébastien Delasnerie, le directeur de la GGR.

Le Français Jean-Luc van den Heede (à gauche), après sa victoire lors de la deuxième Golden Globe Race le 29 janvier 2019, au côté de l'Anglais Robin Knox-Johnston, vainqueur de la première édition, 50 ans plus tôt.
Le Français Jean-Luc van den Heede (à gauche), après sa victoire lors de la deuxième Golden Globe Race le 29 janvier 2019, au côté de l’Anglais Robin Knox-Johnston, vainqueur de la première édition, 50 ans plus tôt. – Sébastien Salom-Gomis / AFP

« Lorsque Don McIntyre [un aventurier australien] a relancé la Golden Globe Race en 2018, il a voulu recréer les conditions de 1968, avec de vieux bateaux, sans électronique. Mais pour des raisons de sécurité, on est obligés de rajouter un peu de communication, des panneaux solaires ou des hydrogénérateurs pour l’énergie sur les bateaux. »

Cinq arrivées pour 18 partants en 2018

Voici quatre ans, seulement cinq des 18 engagés de l’édition du cinquantenaire avaient rallié l’arrivée dans les règles de l’art. Plusieurs avaient semé l’inquiétude, en ne donnant plus signe de vie pendant des jours après des avaries. Le Français Jean-Luc Van Den Heede (73 ans) s’était imposé en 211 jours, 23 heures et 12 minutes. « On a des gens assez vieux pour avoir navigué au sextant, qui viennent de la pêche, du commerce ou de la marine marchande, détaille Sébastien Delasnerie. Et puis on a des personnes comme Damien Guillou qui font partie de la génération GPS, et ont dû complètement réapprendre à naviguer et à faire des calculs mathématiques assez précis. »

Guillou (39 ans), l’un des deux Français en lice avec Arnaud Gaist (50 ans), a remporté le 16 août le prologue de l’épreuve entre le port espagnol de Gijon et les Sables-d’Olonne, devant Simon Curwen et Kirsten Neuschäfer. Curwen maîtrise le sextant depuis sa participation à la Mini-Transat 2002, à travers l’Atlantique. « On était obligés de savoir s’en servir. Après les attentats du 11 septembre 2001, les Américains pouvaient arrêter et brouiller les signaux satellites », se rappelle ce parfait francophone installé près de Pontivy, dans le Morbihan.

Le Français Damien Guillou, vainqueur du prologue, avec un sextant.
Le Français Damien Guillou, vainqueur du prologue, avec un sextant. – Sébastien Salom-Gomis / AFP

Mais ce n’est pas un hasard si cet instrument de navigation inventé au XVIIIe siècle est ringardisé depuis des décennies par le GPS. « On travaille avec des positions approximatives, reprend le sexagénaire. Et puis, il faut déjà pouvoir voir le soleil. Parfois, on ne le voit pas pendant une semaine et on ne sait pas où l’on se trouve. »

Elliott Smith, benjamin et ovni de la troisième édition

« Le sextant ? Ça a été difficile au début, ça a pris du temps pour le maîtriser mais maintenant ça va », s’exclame Elliott Smith. Ce Floridien moustachu de 27 ans aux longs cheveux blonds, benjamin des engagés, fait figure d’ovni dans cette édition 2022. Un élan spirituel nimbe la quête de celui pour qui naviguer est « une passion » découverte il y a quatre ans, au même titre que le surf, le vélo ou la musique. « Je ne suis pas d’accord avec beaucoup de choses dans la société actuelle, lâche-t-il. Tout va trop vite, on passe à côté de choses importantes. Cette course permet de faire un retour vers le passé, de se connecter avec la Nature, sans e-mails, ni textos. »

Il existe tout de même quelques concessions à la modernité, développées par Sébastien Delasnerie. « Un téléphone satellite permet aux skippers de faire un point sécurité obligatoire avec le PC course toutes les semaines à heure fixe, d’envoyer des tweets relayés directement sur notre compte et d’appeler la télémédecine en cas de pépin. »

A 27 ans, Elliott Smith est le plus jeune des engagés, alors que le doyen, le Canadien Edward Walentynowicz, affiche 68 ans.
A 27 ans, Elliott Smith est le plus jeune des engagés, alors que le doyen, le Canadien Edward Walentynowicz, affiche 68 ans. – Sébastien Salom-Gomis / AFP

Impossible en revanche de joindre des proches et des amis, susceptibles de fournir des informations dont ne disposeraient pas les autres concurrents. Cette action est aussi rédhibitoire que faire une escale pendant la traversée ou ouvrir le sac scellé niché dans le bateau, qui contient deux GPS, deux téléphones satellites et deux balises de rechange, à n’utiliser qu’en cas d’urgence absolue. Le skipper fautif peut poursuivre sa course, mais il est alors reversé en classe Chichester, baptisée d’après Sir Francis Chichester, explorateur anglais qui avait réalisé un tour du monde en solitaire en 1966, avec un stop en Australie.

300 à 400 kg de nourriture, 350 à 500 litres d’eau

Comme les 15 autres navigateurs qui ont passé avec succès les différents tests médicaux, Elliott Smith compte bien retourner aux Sables-d’Olonne sans s’arrêter. Le jeune Américain a dépensé tout son argent, démarché des donateurs privés et activé un financement participatif pour pouvoir acheter Second Wind, son bateau, et boucler un budget d’environ 125.000 euros.

Afin de survivre en autarcie, les concurrents doivent forcément voir grand. « Ils prennent entre 300 et 400 kg de nourriture [boîtes de conserve, aliments lyophilisés…] et entre 350 et 500 litres d’eau stockés dans ses réservoirs, explique Sébastien Delasnerie. Certains ont fait un pli spécial sur la voile pour récupérer l’eau de pluie. » Et puis, comme il faut bien s’occuper lorsque les tâches à bord sont accomplies, chacun a pris un stock de livres et… de cassettes audio. Car les CD, c’est trop moderne pour la GGR, et ne parlons pas du streaming…

« C’est une belle opportunité pour des gens comme moi de participer à une grande course autour du monde », sourit Elliott Smith, qui partira avec des bouquins de « fiction, des classiques mais aussi les livres sur le tai-chi et le yoga ». « La navigation n’est pas réservée aux gens très riches, même si tu dois faire beaucoup de sacrifices », souligne le Floridien.

Malgré ses 36 ans de plus, Simon Curwen est tout aussi excité que son cadet à l’idée de quitter le port vendéen, sous le regard de sa femme, de ses trois filles et de sa petite-fille. Le Britannique hume déjà le parfum d’exploit. « Il n’y a que 140 personnes qui ont fait un tour du monde en solitaire, et seulement six dans les conditions de la Golden Globe Race. Beaucoup plus de gens ont été dans l’espace. » Rendez-vous au printemps 2023 aux Sables-d’Olonne.

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La Golden Globe Race, une course autour du monde et pour remonter le temps