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Jérôme Commandeur est venu présenter Irréductible, son deuxième film, au cinéma Pathé d’Évreux, sorti ce mercredi 29 juin 2022. Après Ma Famille t’adore déjà, en 2016, l’acteur et réalisateur signe une nouvelle comédie qu’il revendique comme étant populaire et bourrée de références au cinéma français. Nous l’avons rencontré.
Irréductible est une adaptation de la comédie italienne Quo Vado, sortie en 2016. Comment vous en êtes-vous emparé ?
Jérôme Commandeur : Il y a plein de manières qu’un film arrive entre vos mains. Souvent, ce sont les producteurs ou distributeurs qui envoient des pitchs, quelques lignes, un roman… Là, c’était un film italien. Je suppose qu’il a dû être écrit vers 2012-2013, donc il parle de l’Italie de 2012, alors que moi je voulais le sortir dans la France de 2021-2022 : il y a deux pays différents et presque dix ans d’écart. Il a fallu tout franciser. J’ai recréé un petit tiers du film.
Le synopsis
Vincent Peltier, paisible employé aux Eaux et forêts à Limoges, est incité à démissionner à cause d’une révision des effectifs. Mais le fonctionnaire n’est pas près de se laisser faire. Ce qui met en rogne une inspectrice ambitieuse qui décide de le muter dans les pires endroits du monde pour le pousser à renoncer. Elle l’envoie donc au Groenland pour protéger les chercheurs d’une base scientifique des attaques d’ours. Irréductible est en salle depuis le 29 juin.
Qu’est-ce qui vous a plu dans le scénario original ?
JC : J’ai beaucoup aimé la progression du héros, le fait que tout de suite j’y ai vu plein de choses. Ce qui est génial – c’est un peu pareil avec les one-man-shows – c’est de capter l’air du temps. L’actualité, c’est toujours délicat, car elle se périme vite. Et puis au cinéma ça n’a aucun intérêt. Mais quand je revois des grands films, de Sautet par exemple, je vois une certaine France, celle des années 1970, un peu paisible, bourgeoise par certains égards, où l’on fume partout, on répond au téléphone à roulette… une France nostalgique. Dans Irréductible, j’ai voulu mettre l’air du temps d’aujourd’hui. C’est pour ça qu’il y a des références aux migrants, à la mixité, à la famille recomposée, au climat, au rapport au fonctionnariat… En voyant le scénario, je me suis dit, « oui, je crois que ça peut raconter la France de 2022. »
« Il faut quatre ou cinq films pour devenir réalisateur. »
Irréductible a déjà obtenu le grand prix du festival de l’Alpe-d’Huez en janvier. C’est un objectif d’aller décrocher des prix ?
JC : Que cela soit Cannes ou d’autres festivals, ce sont avant tout des supports, des soirées qui sont censées mettre en lumière des films un peu plus pointus. Avec mon film, ce n’est pas vraiment le cas. C’est une comédie populaire, je la revendique avec infiniment de fierté et d’amour. C’est mon bébé. On n’aura pas de souci de reconnaissance médiatique. On va arriver rapidement dans les JT, dans les talk-shows, sur les réseaux sociaux… Moi, le film Triangle of Sadness [Palme d’or du Festival de Cannes 2022], s’il n’y avait pas eu Cannes, il ne serait pas arrivé à moi. Ce sont deux couloirs différents. Mes prix, mes trophées, c’est le public. Et c’est très bien comme ça. C’est très dur, car il n’y a pas de filet. Mais quand ça fonctionne, ça devient exceptionnel.
Pour votre deuxième long-métrage, Valérie Lemercier, Christian Clavier, Gérard Darmon et Gérard Depardieu, entre autres, se succèdent à l’écran. Comment convaincre un casting de cette ampleur de s’embarquer dans cette aventure ?
JC : Les raisons pour lesquelles un comédien dit oui ou non à un film sont toujours un peu mystérieuses. Des fois, vous envoyez un scénario à des copains qui sont de votre génération, qui ronchonnent dans les soirées en disant que l’on ne fait pas assez attention à eux. Et ils vous jettent à la figure le scénario quand vous leur donnez un rôle magnifique. Vous ne savez pas pourquoi.
Et à l’inverse, il y a d’énormes stars à qui vous envoyez un rôle de deux-trois jours, en vous disant qu’il n’acceptera jamais. Et il ou elle dit oui. Ça dépend de ce qu’ils ont dans la tête, l’état d’humeur dans lequel ils sont au moment où ils lisent le scénario. Je pense que pour Irréductible, ils ont dû voir un scénario un peu construit, des vannes qui leur ont plu et puis voilà. Il faudra leur demander.
Est-ce une pression de diriger de tels acteurs et actrices ?
JC : Oui. Enfin, pression, je ne le dirais pas comme ça. Je dirais qu’il vaut mieux avoir les yeux en face des trous. Quel que soit le statut du comédien, on n’arrive pas en bâillant. Mais encore moins quand c’est eux. On ne dit pas, « tiens, tu vas te mettre là, et la caméra on va la mettre là. Et puis oh non, on fait l’inverse. » Non, ça, ce n’est pas possible avec des gens comme Valérie [Lemercier], Christian Clavier ou Gérard Darmon. C’est inimaginable.
Et en même temps, je me souviens que la veille des jours où je tournais avec eux, un peu comme lorsqu’on a un prof un peu plus dur – ils n’aimeraient pas l’image – je me disais, « bon, il faut vraiment que je sois précis, que je sois clean dans ma tête. » Mais une fois qu’ils sentent que vous avez bossé votre journée, que vous savez exactement où vous voulez mettre la caméra, que vous avez un emploi du temps très précis à leur donner, ils sont charmants.
Ça aide d’avoir fait un premier film [Ma Famille t’adore déjà, en 2016] ?
JC : J’avais des acteurs qui avaient déjà beaucoup tourné à l’époque. Je ne dirais pas qu’il y a un problème de statut de comédien. C’est aussi une logistique, un barnum. On ne le dit pas assez, mais en France, le réalisateur est comptable de la logistique. Parce qu’il y a cette culture de l’auteur-réalisateur. On écrit, on joue, et en même temps on peut appeler la DDE, on gère la réunion météo… Donc c’est bienvenu d’en être au deuxième film. On ne peut pas à s’attaquer à tout, tout de suite. J’aime bien dire qu’il faut quatre ou cinq films pour devenir réalisateur. Ce n’est pas de la fausse modestie. C’est tellement large, vaste et compliqué de diriger des équipes, de comprendre ce que l’on peut obtenir du comédien… J’aime bien cette idée que l’on devient bon avec le temps.
« Irréductible est un film à grand spectacle. Il y a des paysages partout, il y a de l’Équateur, il y a du Groenland, il y a Paris, il y a Limoges… Il y a Limoges ! Vous vous rendez compte ? »
Il y a eu six ans entre vos deux films. Il y a eu une prise de confiance qui était nécessaire entre ces deux réalisations ?
JC : Peut-être. Et le fait d’avoir fait plein d’autres choses, d’avoir tourné au cinéma, d’avoir fréquenté d’autres plateaux, d’autres manières de faire, la radio…
Vous avez fait le choix de sortir ce film en salle et non sur une plateforme…
JC : C’est un débat qui agite beaucoup de monde : les plateformes, les exploitants… Tout le métier s’interroge en fait. Irréductible est un film à grand spectacle, et s’il y a bien une catégorie qui n’a pas à rentrer dans ce genre de débat, c’est celle-là. Il y a des paysages partout, il y a de l’Équateur, il y a du Groenland, il y a Paris, il y a Limoges… Il y a Limoges ! Vous vous rendez compte ?
Sortir un film en salle, ce n’est pas qu’une histoire de taille de l’écran. C’est un spectacle : on fait communion ensemble. Il y a une dame assez âgée qui est venue me voir, je ne sais plus dans quelle ville. Elle m’a dit : « Vous savez pourquoi je viens au cinéma ? Pour être avec du monde. » Je n’avais pas pensé à ça. Il y a des personnes qui sont seules et qui vont dans les cinémas pour juste sentir la présence des gens. Je trouve ça presque émouvant. C’est pour ces gens-là qu’on fait du cinéma, même si j’ai des émotions formidables devant certaines séries dans mon salon… Quand je vais au cinéma, ça m’arrive souvent que les gens me montrent là où il faut rire. Moi je n’aurais pas ri, mais le fait d’entendre rire des gens au même endroit, je me glisse dans le rire des autres et ça me déclenche quelque chose.
Vous incarnez un fonctionnaire ballotté de lieu en lieu. Ce thème, c’est un hasard s’il arrive après des élections ?
JC : C’est totalement un hasard. Le film devait sortir en 2021. Ce que j’aime bien, c’est que ça capte une certaine forme d’air du temps. C’est une adaptation : dans le film original, le héros italien fait exactement le même métier. Il délivre des permis de chasse et de pêche. J’aime bien marcher sur deux jambes. Je charrie, et si on n’a plus le droit de charrier en France, pays de Molière, de Pierre Dac, de Desproges, d’Alphonse Allais, de Coluche, de Jamel, de Gad Elmaleh, de Bedos, j’arrête mon métier. En revanche, dans cette petite et modeste tribune qu’est ce film, j’en profite pour dire qu’ils sont nécessaires et que c’est vachement bien d’avoir des fonctionnaires qui font travailler le collectif. Ce sont parfois des métiers difficiles et on en manque, avec au premier rang les soignants. Je suis content de marcher sur ces deux jambes, de pouvoir à la fois charrier, dire merci et tirer un coup de chapeau.
Le sujet du nombre de fonctionnaires, j’ai l’impression qu’il s’émousse avec le temps parce qu’on a compris avec la pandémie qu’au contraire, il n’y en avait pas assez. J’ai l’impression qu’il n’y a plus grand débat là-dessus. En revanche, je charrie beaucoup là-dessus. C’est même parfois très potache – je le dis avant que vous le disiez – et je l’assume.
Vous jonglez beaucoup entre la tendresse et l’humour acide. Ce sont les ingrédients qu’il faut pour faire une bonne comédie ?
JC : C’est toujours compliqué de porter un regard sur son propre boulot. Quand on écoute les gens, ils aiment bien dire : « Ce n’est pas qu’une comédie. » Il y a souvent cette expression qui ressort, comme si dans l’idée de la comédie réussie, il y avait un supplément d’âme, quelque chose qui fait que ça vient toucher les sentiments.
Mais l’idée, c’est avant tout de rire et, peut-être, d’essayer d’aimer un petit peu plus notre époque. Car Dieu sait qu’elle a parfois du mal à se faire aimer.
« Le cinéma est un plaisir plus intellectuel, c’est comme une bouteille à la mer que vous jetez, mais vous aurez la réponse deux ou trois ans après. »
Le personnage que vous incarnez, Vincent Peltier, pourrait être muté à Évreux ?
JC : Oui. Je pense que ça lui plairait. Je viens souvent par ici, je connais bien. J’ai des copains qui ont des maisons dans le coin. Souvent, on prend les artistes pour des bobos hors-sol un peu décérébrés qui se tapent des bouteilles de champagne sur la tête à Paris – ce qui n’est pas faux – mais on a une connaissance du pays qui est très forte, contrairement à ce que les gens pensent. Moi je passe ma vie dans les trains, sur les routes, dans les avions… On est sans arrêt dans les petits hôtels en sorties de routes. Souvent, les gens qui nous accueillent nous demandent ce que l’on vient faire par ici. Je dis : « Je suis venu jouer à trente bornes, je reviens dans deux semaines à cinquante bornes, il y a trois semaines j’étais à trente bornes. » Et les gens sont bouche bée.
Entre la scène, la radio, la réalisation… vous avez plusieurs cordes à votre arc. Qu’est-ce qui vous plaît le plus ?
JC : C’est difficile de parler d’autre chose que ce pour quoi on vient. La radio, je n’en fais plus. J’ai beaucoup aimé, mais je me suis dit qu’il fallait que je me concentre sur le cinéma et le spectacle. Je dirais que ce sont deux plaisirs différents. Le spectacle c’est organique, c’est une espèce de pulsion : vous ne savez pas dans quel état d’esprit vont venir les gens, si ça va être une salle timide qu’il va falloir booster. Au contraire, il y a parfois des salles qu’il va falloir driver, sinon elles vont partir dans tous les sens : c’est un peu la kermesse. Le cinéma est un plaisir plus intellectuel, c’est comme une bouteille à la mer que vous jetez, mais vous aurez la réponse deux ou trois ans après. C’est quelque chose de très à distance.
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Interview. Jérôme Commandeur : « Quand je vais au cinéma, les gens me montrent souvent là où il faut rire »