Le Fabuleux destin d’Amélie Poulain est sorti au Cinéma le 25 avril 2001…
« Conçue le 3 septembre 1973, à 18 h 28 min 32 s », Amélie Poulain est donc née en 1974. Je me souviens qu’elle devait donc avoir 22 ou 23 ans lorsqu’elle travaillait au Café des 2 Moulins, à Montmartre… Pourtant, Amélie Poulain vient tout juste d’avoir 20 ans…
Je me souviens que Jean-Pierre Jeunet, né un 3 septembre (1955) avait « découvert l’Amérique » juste avant Amélie. Il y avait tourné Alien, la résurrection, le 4e volet de la saga. Sans regretter cette expérience, il comprit que le système de production hollywoodien n’était pas fait pour lui. Et puis, à Los Angeles il avait la nostalgie de Montmartre, où il vit. Avant de s’envoler pour les Etats-Unis, il avait déjà en tête d’écrire quelques chose sur Amélie…
Réalisateur de films publicitaires et de videoclips, Jeunet avait réalisé des courts métrages avec son complice, le dessinateur Marc Caro, L’ Évasion (1978), Le Manège (1980) et Le bunker de la dernière rafale (1981), puis, seul, Pas de repos pour Billy Brakko (1984) et Foutaises (1989). Delicatessen (1991) est le 1er long métrage de Caro et Jeunet. Il remportera 4 César en 1992. Il sera suivi de La Cité des Enfants perdus (1995), avant que Jean-Pierre Jeunet poursuive sa carrière en solo pour tourner Alien aux Etats-Unis.
Je me souviens que le financement d’Amélie Poulain ne fut pas facile. Le projet a d’abord été refusé par l’Avance sur recettes, puis par le fonds Eurimages, par Pathé et par quelques grands producteurs de la place de Paris. Ce fut finalement UGC (qui s’était impliqué sur Delicatessen et La cité des enfants perdus) qui s’engagea. Le budget officiel fut de 76 MF (15 M€), dont 7 pour l’interprétation, 7 pour les costumes et les décors, 16 pour la postproduction. Dix fois moins qu’Alien, la résurrection, qui avait coûté plus de 90 millions de dollars. En comparaison, les budgets des récents succès français sont alors : 200 MF pour Le pacte des loups, 80 MF pour La vérité si je mens! 2, et 95 MF pour Le placard.
Ce fut la première fois que Jeunet travailla en extérieurs. Il fut également l’un des premiers à faire la post-production intégralement en numérique.
C’est après avoir vu Delicatessen que Guillaume Laurant, est entré en contact avec Jeunet tout simplement en cherchant dans l’annuaire. Il a travaillé sur les dialogues de La cité des enfants perdus, a été consultant sur Alien, la résurrection, pour lequel il a écrit une fin (qui n’a pas été tournée), avant de cosigner le scénario d’Amélie Poulain.

Je me souviens qu’ Amélie s’est d’abord appelée Garance au début de l’écriture du scénario, en hommage, au personnage d’Arletty dans Les enfants du paradis. Estimant que le clin d’œil était trop forcé et que ce soit pris pour de la prétention, Jean-Pierre Jeunet abandonna cette idée. Garance devint Emily, car il pensait à Emily Watson, époustouflante dans Breaking the Waves. La comédienne était intéressée et le réalisateur s’est déplacé à Londres pour lui faire passer des essais. Le film aurait pu se tourner en Angleterre. Cependant, même si son personnage a peu de dialogues, Emily Watson ne parlait pas le français et il lui fallait l’apprendre. Est-ce pour cette raison, ou à cause d’un problème de calendrier, toujours est-il qu’elle renonça pour des raisons personnelles. Et Emily se francisa pour devenir Amélie…
Pour remplacer l’actrice britannique il songea à Vanessa Paradis et à Emma De Caunes, mais il arrêta son choix très rapidement après avoir vu Audrey Tautou sur l’affiche de Venus Beauté de Tonie Marshall, « son visage de petit elfe avec ses grands yeux noirs»…
La voix du narrateur devait être celle de Jacques Thébault, qui avait prêté la sienne pour la version française des de la série télé Les incorruptibles. Malheureusement, il avait 72 ans : «C’était génial à écouter comme ça, mais une fois sur les images, ça fonctionnait moins bien ». Le réalisateur renonça à son projet. Jean Reno, Jacques Weber ou encore Jacques Gamblin furent alors pressentis, mais ce fut le hasard qui décida. Dans le studio de montage, Jeunet entendit dans la salle d’à côté la voix d’André Dussollier dans Un crime au paradis, que Jean Becker montait. Il a immédiatement eu la conviction que c’était celle qu’il lui fallait.
Pour la boîte aux trésors d’Amélie Jean-Pierre Jeunet s’est souvenu de Rudiger Vogler, dans Au fil du temps, de Wim Wenders, retrouvant sa boîte à souvenirs sous les marches de l’escalier de la maison de son enfance. Wenders a raconté qu’il avait été frappé par cette idée dans un film de Nicholas Ray de 1952, Les indomptables, avec Robert Mitchum et Susan Hayward.
L’album de photos d’identité de Nino Quincampoix a été inspiré par un véritable album, réalisé par Michel Folco, photographe de presse qui collectionnait les photos d’identité déchirées des Photomaton qu’il ramassait dans les gares et les couloirs du métro parisien.
Le vol du nain de jardin de Raphaël Poulain, le père d’Amélie incarné par Rufus, a été inspiré par l’action du FLNJ (Front de Libération des Nains de Jardins) qui visait, entre 1996 et 1997, à rendre la liberté aux nains de jardin en les transportant vers des lieux où ils sont considérés comme libres.

Le titre du film a été fixé très tardivement. Au moment du mixage. Deux mois à peine avant la sortie. Il s’était d’abord appelé Amélie des Abbesses, de la place du même nom. Mais cela disait trop peu de chose à trop peu de gens. Puis, Amélie Ravigote, « mais, commenta Jeunet, ça ne faisait rire que Guillaume Laurant et moi ». Les aventuriers de la chair de poule, « mais ça faisait trop parodie ». Amélie était trop simple… Et puis, il est tombé sur un film de Sacha Guitry, Le destin fabuleux de Désirée Clary… qui lui donna l’idée.
Parmi les influences visuelles Jean-Pierre Jeunet évoqua le dessinateur Jacques Tardi , le peintre et illustrateur allemand Michael Sowa, ainsi que les travaux de l’artiste brésilien Juarez Machado, qui, de plus, séjournait régulièrement à Montmartre. Quant au tableau que reproduit Raymond Dufayel (Serge Merlin), « le peintre homme de verre », il s’agit du Déjeuner des canotiers d’Auguste Renoir… qui a souvent peint Montmartre.
Jean-Pierre Jeunet aurait aimé que la bande originale soit composée par Michael Nyman. Ce ne fut pas possible et c’est le hasard à nouveau qui décida et désigna Yann Tiersen.
Bien que non sélectionné en compétition au Festival de Cannes, Le Fabuleux destin d’Amélie Poulain devait être projeté en plein air, mais le distributeur (UFD) s’y opposa. Ce ne fut que partie remise puisqu’il le fut, mais 20 ans plus tard, au Cinéma de la Plage, dans le cadre du 74e Festival de Cannes, en juillet 2021.
Dès sa sortie en France le film fut un succès public. Pour le 1er jour, il attiré 125 020 spectateurs en France (le couple de Julia Roberts/Brad Pitt du Mexicain n’en comptait que 54 108. La première semaine, il a totalisé 1 185945 entrées France et, fait rarissime, la fréquentation de la deuxième semaine a dépassé de 1 % la première. Au total, il a attiré plus de 8,5 millions de spectateurs en salles en France. Un succès qui a dépassé les frontières de l’Hexagone avec plus de 23 millions d’entrées à l’étranger. Un record qui n’a été battu qu’en 2012 avec Intouchables (52 millions d’entrées).
L’accueil de la Critique fut positif dans son ensemble malgré quelques avis contraires (Michel Boujut dans Charlie Hebdo : « On pourrait appeler ça un film ramasse-miettes, décoratif et sans émotion.» Remo Forlani sur RTL : «Ils sont tous plus laids les uns que les autres !»). Ce fut quelques semaines après sa sortie qu’un article dans Libération de Serge Kaganski, Chef du service cinéma et rédacteur en chef adjoint des Inrockuptibles, mit le feu aux poudres et lança une polémique bien parisienne.

Le film remporta 4 César (sur 13 nominations) : Réalisateur, Film, Musique et Décors (Aline Bonetto), 4 European Film Awards 2001 : Meilleur Film – Meilleur réalisateur – Meilleure photo et le Prix du meilleur film décerné par le Syndicat Français de la Critique de Cinéma. Il représenta la France aux Oscars. Malgré 5 nominations, il n’obtint rien. Le forcing d’Harvey Weinstein (distributeur du film aux Etats-Unis) lui ayant été préjudiciable.
Au cinéma en 2001. En janvier, au Festival Premiers Plans d’Angers, Nuages de mai de Nuri Bilge Ceylan obtint le Grand Prix du Jury. Par la suite, Intimité de Patrice Chéreau remporta l’Ours d’or à Berlin. A Hollywood, Un homme d’exception de Ron Howard décrocha quatre Oscars, tandis que Le Goût des autres, d’Agnès Jaoui, se vit décerner quatre César. La Palme d’or cannoise fut décernée à La Chambre du fils de Nanni Moretti et Le Mariage des moussons de Mira Nair fut récompensé par le Lion d’or à Venise. A Cannes, la France était représentée par cinq longs métrages : La Répétition de Catherine Corsini, La Chambre des Officiers de François Dupeyron, Eloge de l’amour de Jean-Luc Godard, Roberto Succo de Cédric Kahn et Va savoir de Jacques Rivette.
Cette années-là, sont sortis dans les salles de cinéma de l’Hexagone : Harry Potter à l’école des sorciers, La Vérité si je mens ! 2, Le Seigneur des anneaux : La Communauté de l’anneau, Le Placard, Le Pacte des loups, Tanguy, Shrek, La Planète des singes.
En 2017, Amélie Poulain a traversé l’Atlantique pour devenir une comédie musicale à Broadway sous le titre Amelie. Jean-Pierre Jeunet, coscénariste du film, ne fut pas associé au projet. S’il accepta de céder ses droits, ce fut afin de récolter de l’argent pour une association d’aide à l’enfance. Amelie fut un échec commercial et ne resta à l’affiche que 7 semaines, entre avril et mai.

Je me souviens que Jean-Pierre Jeunet a été sollicité de nombreuses fois pour faire une suite ou une série, mais il a toujours refusé. A IndiWire en mai 2019, il a déclaré :« C’est une mauvaise idée. Ce ne serait pas la même actrice, ce serait de mauvaise qualité car nous n’aurions pas le même budget. Tourner à Paris serait très difficile à cause des nombreux chantiers qu’il y a partout. Paris est laide désormais »
A propos du film et de son succès, Jean-Pierre Jeunet a déclaré récemment : « (il) ne change pas, c’est nous qui changeons. Si Amélie sortait aujourd’hui, je ne sais pas ce qui se passerait car on vit dans un monde beaucoup plus cynique et polémique à tout prix. L’espèce humaine est la pire chose de la planète mais chacun pris individuellement a un côté Amélie (…). A un moment, les étoiles sont alignées. Le concept de la générosité, les petits plaisirs de la vie, le Paris magnifié, la musique, Audrey Tautou… les gens ont adhéré. »(entretien accordé à Fabienne Bradfer en juillet 2021 – Mad – supplément culturel du journal Le Soir – du 22 décembre 2021).
A voir, à lire et à écouter :
La bande annonce du Fabuleux destin d’Amélie Poulain (UGC – 3mn40)
Le Fabuleux destin d’Amélie Poulain – 20e anniversaire (UGC – 2021 – 1mn17)
Le Fabuleux destin d’Amélie Poulain sur le site officiel de Jean-Pierre Jeunet
Jean-Pierre Jeunet présente Amélie Poulain (Première Cinéma Club – 2016 – 13mn30)
Audrey Tautou (INA/FR3 -2001/2015 – 3mn24)
Sur les pas d’Amélie Poulain (Paris Secret – juin 2020)
Visite des décors d’Amélie Poulain (14mn)
Amélie Poulain 20 ans après (2020 – 4mn15)
Jean-Pierre Jeunet :
Masterclass Jean-Pierre Jeunet (2014 – 1h42)
Masterclass à l’occasion des 30 ans de Delicatessen (Festival Films Courts de Dinand – 2021 – 57mn)
Le site officiel de Jean-Pierre Jeunet
Autour de la polémique Les Inrockuptibles/Libération :
Rebonds de Serge Kaganski (Libération – 31 mai 2001)
Le frauduleux destin d’Amélie Poulain de Philippe Lançon (Libération – 01 juin 2001)
Les réactions des lectrices et lecteurs (Libération – 02 juin 2001)
Serge Kaganski et Philippe Lançon (Rebonds – France Culture – EKouter.net – 2001/2014 – 53mn)
Amélie Poulain, ouais et alors ? (leshopitauxquisefoutdelacharite – 08 juin 2011).
Philippe Descottes ;o)
We would love to give thanks to the author of this write-up for this amazing material
Je me souviens… du Fabuleux destin d’Amélie Poulain de Jean-Pierre Jeunet