Bienvenue dans le Box Office, le rendez-vous hebdomadaire de l’émission Soft Power. On y épluche chaque semaine les tendances de la culture et les plus gros succès du moment. En partenariat avec l’institut d’études GfK pour les livres et les jeux vidéos et CBO Box Office pour le cinéma.
“Juifs d’Orient, une histoire plurimillénaire” : une courageuse première à l’Institut du Monde Arabe
On démarre avec une exposition, et non des moindres, intitulée « Juifs d’Orient », qui vient d’ouvrir mercredi. Inutile de dire que cette exposition, présentée dans le temple de la culture arabe à Paris, l’Institut du Monde Arabe qui est piloté par la France et une dizaine de pays de la ligue arabe, dont l’Algérie, l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis ou encore l’Irak et le Liban, est une grande première, audacieuse – et tout simplement courageuse. C’est sans doute une sorte de « testament » de Jack Lang qui préside l’IMA car c’est la première fois que l’institut s’ouvre ou aborde franchement les cultures juives. Faire une exposition sur l’influence des Juifs d’Orient à l’IMA était évidemment une prise de risque, un projet juché d’embuches. Pour éviter les polémiques, le projet a été soigneusement préparé dans le cadre d’une trilogie consacrée aux Trésors de l’Islam, d’abord ; aux Chrétiens d’Orient ensuite ; enfin aux Juifs d’Orient.
La président de la République, Emmanuel Macron, a lui-même inauguré cette exposition mardi. Exposition dont le commissaire général est l’historien Benjamin Stora. En la visitant, quant à nous, on a été séduits par cette histoire pluri-millénaire des Juifs en terre d’Orient, une exposition qui célèbre le dialogue, plutôt que l’affrontement, la vérité de l’histoire plutôt que l’oubli, l’effacement ou les amalgames. L’exposition montre que les cultures juives et musulmanes sont mêlées, parfois complices, souvent antagonistes, mais aussi inexorablement liées. La coexistence fut longtemps pacifique.
Parmi les centaines d’œuvres, d’objets, de tapis, de costumes, de manuscrits qui sont présentés dans cette exposition, nous avons aimé notamment toute l’histoire des synagogues en Orient dès le IIIème siècle avant Jésus Christ. Le temps des séfarades est un autre moment fort de cette exposition, quand les traditions, les langues (par exemple le Ladino ou le Judéo-espagnol) et la culture sont un refuge pendant l’exil – un exil après 1492 lorsque l’Espagne expulse ou convertit de force les Juifs marranes. Dans cette « Europe aux anciens parapets », beaucoup de Juifs s’enfuient – et d’abord en Orient. En Palestine, déjà, mais surtout sur la rive méridionale de la Méditerranée, au Maroc, en Algérie, en Égypte. Les Juifs berbères du Maroc ; les communautés juives dans l’empire Ottoman ; les Juifs séfarades de Safed ; la Kabbale ; la renaissance intellectuelle en Palestine datent notamment de cette période : on comprend mieux alors les origines méditerranéennes des cultures arabes. La colonisation de l’Algérie en 1830, la prise de contrôle de la Tunisie en 1881 puis de l’Égypte l’année suivante et plus tard du Maroc changent la donne. C’est le temps de l’orientalisme et les Juifs d’Orient sont redécouverts, par exemple par Delacroix, mais aussi par les écrivains et les poètes pour qui l’Orient devient la passion primitive. Au XXème siècle, c’est le temps de l’exil et de la mémoire. Les photos des Juifs de l’opération « Tapis volant » sont bouleversantes tout comme les récits de l’arrachement et de l’éloignement.
Autant de moments et de mémoires, dont on ne fait qu’effleurer l’histoire, et que l’on peut retrouver dans cette exposition « Les juifs d’Orient ». À noter, l’extraordinaire librairie de l’Institut du Monde Arabe où l’on peut se procurer d’innombrables ouvrages sur ces sujets passionnants.
« Les Juifs d’Orient », à l’institut du monde arabe jusqu’au 13 mars prochain.
“Jung, un voyage vers soi” : quand Frédéric Lenoir rend glamour les intellectuels d’un autre temps.
Non fiction de la semaine avec un ovni dans le palmarès GFK : Jung, un voyage vers soi publié chez Albin Michel. Comment un essai sur le médecin psychiatre suisse se retrouve en quatrième place des meilleures ventes en France ? On peut poser la question autrement : comment un essai sur le philosophe hollandais Spinoza publié chez Fayard fut, lui aussi, il y a quatre ans, un best-seller ? La réponse d’un livre à l’autre est la même : tous les deux sont signés par Frédéric Lenoir qui fait de chacun de ses sujets un succès. Les universitaires trouvent ça léger ; les spécialistes contestent les détails ; mais les lecteurs adorent. Didactique, pédagogique, Frédéric Lenoir réussit à expliquer des auteurs complexes, lesquels ont en commun un rapport ambigu à la religion ou à la science, un parcours hors norme qui sert d’exemple à chacun dans son développement personnel. À leur corps (parfois) défendant, des auteurs qui ont voulu changer la vie sont mobilisés pour changer ma vie. On peut critiquer Frédéric Lenoir mais force est de constater qu’il sait écrire des livres et rendre accessibles des auteurs parfois ésotériques. Il a fait profession de nous expliquer notre vie intérieure et de fonder de nouvelles spiritualités. Ce n’est déjà pas si mal.
Classement GFK des ventes de la semaine, catégorie essais et documents.
La littérature de fiction continue de suivre les prix littéraires
Fiction, rien de nouveau à signaler cette semaine, sinon le succès attendu et continu du dernier Prix Goncourt, La plus secrète mémoire des hommes de Mohamed MBougar Sarr et de la bonne tenue des romans d’Amélie Nothomb et Clara Dupont-Monod.
Classement GFK des ventes de la semaine, catégorie fiction littéraire.
Pas de vague dans les salles obscures
Pas de grand succès cette semaine dans les salles, et même une baisse sensible pour Aline, biopic non autorisée sur la vie de Céline Dion – et dont on a d’ailleurs appris que les Dions n’ont pas du tout apprécié ce film). House of Gucci, sorti seulement mercredi, semble bien démarrer avec 34.000 entrées France pour son premier jour en salle. L’Événement, réalisé par Audrey Diwan d’après Annie Ernaux, a rassemblé 14 500 personnes mercredi – un chiffre assez moyen. Quant à Frida sur Frida Kahlo, dont on a déjà parlé ici, le film n’a pas trouvé son public pour l’instant avec seulement 1 300 entrées France mercredi. On attend bien sûr avec plus d’espoir niveau box office les sorties de la fin de l’année : West Side Story de Steven Spielberg (on va en parler), Madres Paralelas d’Almodovar, Spider Man – No Way Home, sans oublier pour les fêtes Matrix 4 et un Harry Potter.
“Dix pour Cent” primée aux International Emmy Awards et une programmation Disney Plus qui joue sur l’atmosphère de Noël
Beau succès international de Dix pour Cent. La série française, récupérée par Netflix en deuxième fenêtre de diffusion, a été récompensée ce mercredi à New York aux « International Emmy Awards » comme meilleure comédie. Rebaptisée à l’international Call My Agent, raconte les péripéties artistico-financières d’une agence de talents qui s’occupe donc des contrats des artistes (et prend bien sûr 10 % sur chacun de ces contrats). Loin de parler aux seuls professionnels de la profession, elle a réussi comme A la Maison blanche ou House of Cards dans le secteur politique, à toucher le grand public et devenir mainstream. Aux anges, son producteur, l’inénarrable Dominique Besnehard affirme même qu’une vingtaine de remakes ont été signés, notamment au Canada sous le titre Les Invisibles, ou encore en Inde avec la mise en ligne de il y a un mois de Call my Agent: Bollywood...sur Netflix !
Toujours dans les séries, et côté Disney Plus, notons la mise en ligne mercredi des deux premiers épisodes de Hawkeye, une mini-série autour de ce personnage des Comics Marvel. La programmation tombe à pic puisque Hawkeye, alias Clint Barton, n’aspire qu’à passer Noël en famille après avoir pris sa retraite des Avengers !
Enfin, toujours sur Disney Plus, signalons Dopesick, une série inspirée du scandale de la crise des opioïdes aux États-Unis, à travers l’adaptation du travail d’investigation de la journaliste Beth Macy sur la mise en vente de l’OxyContin, qui a plongé d’innombrables américains dans la dépendance.
Les 25 ans de Pokémon sur Nintendo Switch !
Côté jeu vidéo, on fête cette semaine l’anniversaire emblématique de Pokémon qui illumine le monde du gaming depuis 25 ans maintenant et qui vient de sortir, sur Switch, Pokémon Diamant étincelant et Pokémon Perle Scintillante, remakes d’un jeu sorti en 2006 sur Nintendo DS. Si le mode multijoueur s’est amélioré, si la musique reste efficace, bref si la magie de la nostalgie opère toujours – on ne peut oublier que les Pokémon apparaissent aujourd’hui bien datés, sinon « squares », à l’heure où le jeu vidéo a tant gagné en qualité visuelle ou graphique et en 3D. Mais comme le disait Roland Barthes, la mythologie des jeux vidéo n’a pas d’âge, elle nous déborde… Roland Barthes n’a jamais écrit ça ; mais il aurait pu !
Classement GFK des ventes de la semaine, catégorie jeu vidéo.
Théâtre : l’oeuvre de Tony Kushner et l’hommage à Stephen Sondheim
On a appris sa mort vendredi à l’âge de 91 ans : Stephen Sondheim était la figure sacrée de Broadway depuis un demi siècle – et Zoé Sfez lui a consacré une Série Musicale, tout à l’heure, juste avant Soft Power. On le sait, on doit à Stephen Sondheim les paroles de West Side Story ou encore de Gypsy, sans oublier la musique et les paroles du célèbre Sunday in the Park With George. Monument du musical, de la trempe d’un Irving Berlin ou d’un Cole Porter, Stephen Sondheim fut l’une des figures les plus primées de toute l’histoire de Broadway, avec 15 Tony Awards, 7 Grammy Awards et même le prix Pulitzer. En 2015, Barack Obama l’a récompensé de la Presidential Medal of Freedom, la plus haute distinction officielle du gouvernement américain.
En un étrange et incroyable clin d’œil, West Side Story (qui fut un succès international en 1961 réalisé par Robert Wise et Jerome Robbins, sur une partition de Leonard Bernstein et Stephen Sondheim) donc West Side Story sortira dans les salles du monde entier la semaine prochaine dans la version très attendue de Steven Spielberg et les dialogues revisitées de Tony Kushner d’après Stephen Sondheim. Nous reparlerons de ce film dimanche prochain avec une émission consacrée à la diversité américaine ; mais nous voulions revenir ici sur la pièce de Tony Kushner A bright room called day qui se joue actuellement au théâtre du Rond Point à Paris. C’est un étrange texte, néo-brechtien, sur la montée du nazisme en Allemagne en 1932 et 1933, écrit en 1984, et joué pour la première fois en 1985 sans aucun succès. Près de 35 ans plus tard, Tony Kushner (auréolé entre temps par le succès de sa pièce Angels in America) l’a réécrite pour l’adapter à l’âge de Donald Trump. Dans la version inspirante montée en ce moment au Théâtre du Rond-Point par Catherine Marnas, un personnage représentant Tony Kushner monte sur scène et vient commenter sa pièce de jeunesse. Quand il croyait encore à la gauche et qu’il n’aurait jamais cru qu’une sorte d’extrême droite “trumpienne” puisse arriver au pouvoir aux États-Unis. La mise en scène est habile dans un décor à la fois bourgeois et jazzy. Des projections accompagnent la pièce. Il est assez rare, au théâtre, de voir une pièce de jeunesse revisitée par son auteur qui vient la commenter sur scène. Tous les passionnés (dont nous sommes) de Tony Kushner pourront s’en féliciter et pour ceux qui souhaitent d’abord se familiariser avec son œuvre, ils pourront voir Angels in America dans la mise en scène remarquable d’Arnaud Desplechin et les acteurs époustouflants de la Comédie Française sur France 5 : elle a été diffusée ce vendredi soir mais elle est disponible en replay sur le site de France Télévisions jusqu’au 3 décembre. À ne pas manquer ! Quant à la pièce, A Bright Room called Day de Tony Kushner, on peut la voir jusqu’au 5 décembre au Théâtre du Rond Point. C’est à voir pour tous ceux qui pensent que l’esprit du fascisme et du pétainisme peut renaître partout et à tout moment, y compris dans l’Amérique de Donald Trump…ou dans la France d’Eric Zemmour.
“Dis-moi Joséphine”, par Joséphine Baker à l’occasion de son entrée au Panthéon
Évidemment cette semaine : Joséphine Baker, qui entrera au Panthéon ce mardi. Après Marie Curie, Geneviève Anthonioz De Gaulle, Simone Veil, et Germaine Tillion, Joséphine Baker sera pour sa part la première artiste de scène et la première femme noire à faire son entrée au Panthéon.
Ce box office est issu de l’émission “Comment la Chine tente d’infiltrer la France ?” du 28 novembre 2021.
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Exposition “Juifs d’Orient” : les cultures juives et musulmanes inexorablement liées, dans le box office