Paul McCartney… «yesterday»
A 79 ans, le bassiste des Beatles publie ses Mémoires, qu’il atomise façon puzzle au gré d’un abécédaire lié à ses chansons. Logique de la part du plus musicien des quatre.

Paul McCartney en 1967, pour la première fois photographié par sa future femme Linda Eastman. Il a alors 24 ans.
Quand on compose à l’âge de 23 ans l’un des plus beaux hymnes dédié au temps qui file, de quelle couleur sera sa nostalgie une fois la vieillesse venue? Il est vrai que «Yesterday» s’appelait à l’origine «Scrambled Eggs», «Œufs brouillés», ce qui en dit autant sur l’étendue de l’inspiration que sur les habitudes alimentaires matinales de son auteur: Paul McCartney.
C’est peu dire que ses Mémoires étaient attendues. Le récit des sixties par ceux qui les ont non seulement vécues mais façonnées est d’autant plus précieux que leurs héros risquent désormais moins de mourir d’overdose que de vieillesse. Keith Richards, Eric Clapton, Neil Young… Depuis quinze ans, leurs autobiographies ont chacune fait l’événement éditorial, voire littéraire pour peu que l’on s’appelle Bob Dylan.
Beatles pas bavards
Dans ce grand dévoilement, The Beatles gardaient un mutisme d’autant plus frustrant qu’aucun groupe n’a si fortement marqué son époque. Et d’autant plus opaque que deux du quartette sont décédés depuis belle lurette, John Lennon par balles en 1980, George Harrison du cancer en 2001. En termes de souvenir, le premier léguait de nombreuses interviews acerbes et souvent injustes envers son ancien groupe; le second avait publié une autobiographie très lacunaire, «I Me Mine», à l’âge de 37 ans. Fidèle à lui-même, Ringo Starr a sorti l’an passé «Another Day in the Life of Ringo», un livre de… photos. «Help!» comme dirait l’autre.

Les Quarrymen peu avant une prestation dans un café de Liverpool. Parmi les quatre ados sur la photo, trois sont devenus célèbres sous le nom de Beatles.
Paul McCartney, donc. Et des Mémoires à la hauteur de la position du bassiste, légende très vivante au bénéfice de 40 albums studio, de centaines de chansons cosignées avec Lennon ou en solo, d’une fortune dépassant le milliard de francs, d’un anoblissement par la reine et d’une soif créatrice intacte malgré (ou à cause de) ses 79 ans. Le confinement lui a fait publier un disque l’hiver dernier. Son autobiographie, en revanche, est un travail de longue date commencé en 2015 avec Paul Muldoon, écrivain, professeur et Prix Pulitzer – là encore, position oblige!
«On s’est parlé une cinquantaine d’heures au total au cours de 24 rencontres, raconte-t-il à «L’Obs». Surtout à Manhattan, une fois à Londres et par Zoom pour les dernières conversations. Des sessions de deux ou trois heures. Je choisissais quatre ou cinq chansons et on se lançait.»
![Sous le sapin – Paul McCartney… «yesterday» 5 «C’est pour John Lennon que j’ai écrit «Dear Friend», pour lui demander d’arrêter nos disputes. […] Je suis content de la façon dans notre relation a évolué par la suite. Ç’aurait été la pire chose pour moi qu’il soit tué alors qu’on était en mauvais termes.»](https://awardworld.net/wp-content/plugins/wp-fastest-cache-premium/pro/images/blank.gif)
«C’est pour John Lennon que j’ai écrit «Dear Friend», pour lui demander d’arrêter nos disputes. […] Je suis content de la façon dans notre relation a évolué par la suite. Ç’aurait été la pire chose pour moi qu’il soit tué alors qu’on était en mauvais termes.»
Car «Paroles et Souvenirs» n’est pas une autobiographie lambda. En deux volumes, elle prend la forme d’un abécédaire lié aux titres des chansons, période Beatles, Wings ou solo, dont chacun donne le prétexte à un fragment d’histoire de Paul. Cette loterie profuse gagne en fantaisie ce qu’elle perd en rigueur d’analyse et de lecture: une chanson ravivera un souvenir lié au jour de sa composition, une autre catapultera le bassiste vers son enfance, vers un chagrin d’amour ou (souvent) un souvenir lié à sa première femme Linda Eastman, qui l’accompagna de 1967 jusqu’à son décès en 1998. Un titre réveillera une anecdote charmante et inattendue, un autre sera analysé sous l’angle de sa composition presque technique et des mystères de l’inspiration, un troisième motivera une plongée profonde et personnelle dans l’histoire des Beatles.
Les plus célèbres chansons ne font pas les plus puissantes confessions: «Dear Friend», méconnue balade au piano sur le premier album des Wings en 1971, accouche par exemple d’une des plus émouvantes évocations sur Lennon et la fin de leur amitié.
Profusion baroque
On picore et l’on virevolte dans ces deux recueils de mémoires comprenant les paroles définitives des 154 chansons présentées mais aussi des textes manuscrits, des affiches de concerts, des coupures de journaux et bien sûr des photos, beaucoup signées Linda (elle avait déjà documenté sa vie avec le musicien dans un livre épais paru chez Taschen, «Linda McCartney»). Au final, cette profusion baroque impose dans sa forme la vie extraordinaire de «Macca» dont la curiosité, chez les Beatles déjà, avait contribué à créer des ponts entre avant-garde et musique populaire. Littérature, peinture, voyages, politique, expériences sonores, tout a nourri la créativité du musicien et lui a permis de survivre à la plus grande gloire pop jamais vécue par un homme qui n’avait pas 30 ans. Un demi-siècle après la mort des Beatles, Paul McCartney est pleinement en vie.

Âgé de 79 ans, Paul McCartney.
Quatre autres beaux livres à ne pas manquer
Plantu et Reza fusionnent, du jamais vu!

Métissage De l’improbable fusion du trait acéré de Plantu et du regard hypersensible de Reza naît un ouvrage irrésistible. Le Français et l’Iranien, amis depuis dix ans, discutent droits des femmes et des enfants, écologie, pouvoir et, bien sûr, liberté d’expression. Plus ou moins appuyé, le métissage entre la photo et le croquis étirent une réflexion dans une dimension surréaliste, les pieds sur terre, la tête dans la fiction.

Rien de très original? Si justement, car la photographie du reporter tirant vers le réel, le dessin de l’homme de presse la lestant d’un commentaire, l’interpénétration de leurs approches conduit à un imaginaire dense et infini. Ces 80 tableaux organisent un clash baroque à la puissance de frappe inédite. Un must hors catégorie.
«Plantu & Reza, regards croisés»
Plantu et Reza
Éd. Gallimard, 192 p.
Les enfants de Steve McCurry

«Enfants du monde», un tour du monde de l’enfance par le photographe Steve McCurry aux éditions de la Martinière.
DR
Reportage Steve McCurry, star malgré lui du photoreportage par l’impact du cliché de l’«Afghane aux yeux verts», pressé de se définir lors de l’ouverture de son exposition au Musée Maillol à Paris (à voir jusqu’au printemps 2022), déclarait: «Je ne me vois pas comme un anthropologue ou un historien, mais je pense important de constituer une banque de données sur les comportements humains, avant que les choses évoluent ou disparaissent.»

Souvent focalisé sur le regard, trouvant dans le quotidien le plus abrupt une pureté tendant vers l’abstraction, Steve McCurry aboutit souvent à la beauté la plus inattendue.
STEVE MCCURRY / DR
C’est dans cette optique qu’il faut se plonger dans «Enfants du monde, portraits de l’innocence». Sans la mièvrerie qui parasite souvent ce répertoire, l’Américain ramène des instantanés éclaboussant de pureté, en lien direct avec la force d’un âge si éphémère. Devenu père depuis peu, ce baroudeur taciturne avoue aussi que son nouvel état a modifié sa vision, le rendant, si c’était possible, encore plus exigeant et rigoureux face à la jeune génération.
«Enfants du monde»
Steve McCurry
Éd. de La Martinière, 206 p.
Michael Mann, de «Miami Vice» à «Tokyo Vice»

Une somme sur Michael Mann, cinéaste majeur du 20e s.
DR
Alors que la série «Tokyo Vice» arrive au printemps, une étude salue Michael Mann, visionnaire trop occulté par son «Miami Vice» des familles. Le Chicagoan surgit à Hollywood il y a 40 ans avec James Caan dans «Le solitaire». Sa vista révolutionne la ville, redéfinit la vérité iconique du film noir.
Jean-Baptiste Thoret fixe les axes de l’œuvre: des desperados dans un paysage déshumanisé, souvent Los Angeles, une manière de filmer à l’ancienne, «aérienne et contemplative», enfin, le constat sec du consumérisme. «Funambule à la lisière du cinéma populaire», Mann a donné «Heat» ou «Public Enemies». Du lourd.
«Mann, mirages du contemporain»
Jean-Baptiste Thoret
Éd. Flammarion, 343 p.
Le monde de 2020 vu par l’AFP, en photographies et en faits divers

En Palestine, l’ingéniosité d’une mère pour protéger tant bien que mal ses enfants.
AFP / DR
Reportage L’AFP, c’est 151 pays couverts par 500 photographes et 3000 clichés d’actualité au quotidien. Pour une fois, la ruche qui ne dort jamais s’offre un arrêt sur image. «Pandemia» prend le pouls d’une planète 2020 en apnée, enregistre les convulsions de l’«histoire vraie en dystopie». En avril, le bruit sismique de la Terre, soit la résonance de nos pas sur son écorce, baissait de moitié.

Le masque dans tous ses états durant une année de Covid-19 sur la planète vue par l’AFP dans «Pandemia».
AFP / DR
La vie en sursis, c’est ici les anciens coupés des familles, là un violoncelliste qui improvise tous les matins un concert, plus loin, des enfants de Gaza qui se déguisent en virus pelucheux. Une mosaïque déchirante, enthousiasmante, bluffante. La planète bleue…
Ceux qui ne veulent plus en entendre parler de pandémie, trouveront un peu de répit dans les textes de Florence Aubenas, Gaël Faye, Susie Morgenstern ou Charles Pépin. Enfin, anxiolytique suprême, le traditionnel «Tout va bien» des Éditions Tripode débarque comme chaque année, composé à base d’authentiques faits divers récoltés par l’AFP.

La traditionnelle compilation de l’année aux éditions Tripode sous l’angle des faits divers.
DR
Dans ses gros délires, l’ouvrage au sous-titre évocateur, «Le monde fou de l’AFP en 2022» (sic!), témoigne lui aussi de «cette société absurde, drôle, tordue, sensible, dérisoire, poétique». Un complément parfait à «Pandemia».

Loin d’être anxyogène, un beau livre qui marque la mémoire.
DR
«Pandemia»
Dirigé par Marielle Eudes
Éd. Les Arènes/AFP, 432 p.
«Le monde fou de l’AFP en 2022»
Éd. Le Tripode
François Barras est journaliste à la rubrique culturelle. Depuis mars 2000, il raconte notamment les musiques actuelles, passées et pourquoi pas futures.
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Cécile Lecoultre, d’origine belge, diplômée de l’Université de Bruxelles en histoire de l’art et archéologie, écrit dans la rubrique culturelle depuis 1985. Elle se passionne pour la littérature et le cinéma… entre autres!
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Sous le sapin – Paul McCartney… «yesterday»